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Chroniques vingt-et-unièmes — Le fauve endormi — 28 mars 2022

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  Le fauve endormi Quentin repose sur l’étroite étagère le livre de Pascal Vatinel, Parce que le sang n’oublie pas . Allongé sur son lit qu’il ne quitte plus depuis deux jours, il ferme les yeux en s’efforçant de visualiser… Nankin, décembre 1937. Une plaie toujours ouverte dans la mémoire chinoise. Une simple tache que l’on s'applique à effacer dans celle des Japonais, pas par une quelconque tentative de reconnaissance ou de rédemption, mais par le déni des faits qui ont conduit au massacre de centaines de milliers de civils innocents. Des hommes, bien sûr, derrière lesquels on croyait voir des déserteurs et, horreur absolue, des femmes, 20 000 à 80 000, violées avant d’être exécutées, et des vieillards, des enfants, des bébés exterminés par tous les moyens qu’une folie collective peut mettre à disposition de tueurs livrés à leur instinct de mort. L’enfer se sentait trop à l’étroit là où il était. Il cherchait des horizons nouveaux. Et c’est à Nankin qu’il les trouve. Pourquoi, pe

Chroniques vingt-et-unièmes — Quelque chose change et s’effrite — 21 mars 2022

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  Quelque chose change et s’effrite En rentrant tard hier d’une soirée enfumée dans l’une des terrasses fermées du boulevard Saint-Germain, elle a surpris, ou écouté d’une oreille subitement attentive, une conversation de ses parents sirotant leur traditionnelle tisane de tilleul avant de se rendre au lit. —  La mondialisation dans un monde non pacifié, expliquait Xavier d’une voix sépulcrale, était une erreur. Je plébiscitais pourtant la mondialisation, mais j’étais dans l’erreur. Nous avons tous commis cette erreur, collectivement… Nous pensions qu’il était plus simple d’importer les produits que de les fabriquer. Moins de taxes, moins d’ennuis avec les salariés, moins de grèves… et des coûts de revient plus bas. Et pour taire nos derniers scrupules, nous nous félicitions d’apporter du travail et une certaine aisance matérielle aux ouvriers, là-bas, à 10 000 kilomètres de nous. Un confort intellectuel… Je le répète, ce modèle était valable dans un monde pacifié. Mais quand vient la g

Chroniques vingt-et-unièmes — Réfléchissons à tout ça — 14 mars 2022

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  Réfléchissons à tout ça —  Tu es vraiment sûr de vouloir faire une partie d’échecs ? Tu vas te sentir encore frustré de perdre… Le ton de Sébastien est détaché. Il sait qu’il n’arrivera pas à convaincre Xavier de renoncer, lequel, avec une pugnacité émérite, revient éternellement tenter l’aventure. —  Mais non, je ne serai pas frustré. J’ai maintenant l’habitude… —  C’est toi qui vois… Alors, quelles sont les nouvelles du front ? C’est l’éternel jeu. Sébastien lance, sans se dévoiler, ce type de perche pour entendre son ami commenter l’actualité, et bien sûr pour se donner l’occasion de le contredire. —  Je ne vais pas t’apprendre qu’à moins d’un mois du premier tour Macron et Le Pen ont de bonnes chances d’être au second. —  Je ne pensais pas vraiment à ce front-là… —  J’en étais sûr. La campagne passe pour un événement anodin, comparée à la guerre en Ukraine. Mais il s’agit quand même de notre élection majeure ! —  Mais je m’y intéresse ! J’ai regardé le débat Pécresse-Zemmour… — 

Chroniques vingt-et-unièmes — Remettre les choses en place — 7 mars 2022

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  Remettre les choses en place Jean-Bernard réprime un bâillement pour la troisième fois. Dans la cuisine, le jour filtre à peine. Élise qui vient de poser ses mots fléchés lui demande :  —  Tu as encore mal dormi ? C’est l’Ukraine qui te travaille ? Moi, je pense que tout va finir par s’arranger. C’est l’optimisme forcené d’Élise qui parle. Jean-Bernard émerge brutalement de sa douce somnolence et répond lentement :  —  Cela remet au moins les choses en place… —  Les choses en place… Tu veux dire que Poutine a raison d’envahir l’Ukraine ? —  Pas du tout, c'est de nous qu'il s'agit. Enfin, des Français en général… Nous étions habitués à ce que tout aille bien, nous pataugions dans notre petit confort. À tel point que nous en demandions toujours plus. Et en deux ans, nous avons retrouvé deux fléaux que les Occidentaux avaient presque oubliés : l’épidémie et la guerre. —  S’il faut en arriver là… —  Je te dis, ça remet les choses en place. Ce n’est pas ce que je souhaite mais

Chroniques vingt-et-unièmes — Le soleil se couche à l’est — 28 février 2022

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  Le soleil se couche à l’est C’est une sorte de club pour officiers en retraite de l’armée de terre, on s’y conduit comme au mess, en cultivant une certaine nostalgie. Jean-Bernard y retrouve tous les trois mois Ludovic et Charles, et c’est un bistrot près de la place du Trocadéro qui fait office de quartier général. En quittant son domicile, il a éteint la télé d’un geste sec. C’était le trop-plein. L’Ukraine, l’Ukraine, l’Ukraine… Toute la semaine, BFM , CNews , LCI , France Info ont pratiquement ignoré les autres actualités. Et aujourd’hui, l’affaire a pris une nouvelle ampleur. Des paroles, on est passé aux actes. Aussi, il ne manifeste pas d’étonnement, lorsqu’il approche, à surprendre ses deux amis entraînés dans une discussion assez houleuse. Et c’est Ludovic qui la mène :  —  Je t’en prie, essaie de te mettre, ne serait-ce que cinq minutes, dans la tête de Poutine… —  Ça va être difficile ! —  Essaie. Avec de la volonté, on y arrive. Je rappelle d’abord un fait historique :

Chroniques vingt-et-unièmes — À l’avenir de décider — 21 février 2022

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  À l’avenir de décider Ludivine soupire. Elle déplore toutes ces bisbilles, sur un sujet aussi grave, entre les deux collectifs féministes #NousToutes et Féminicides par compagnons ou ex . Le premier reproche au second des propos « transphobes » et ne veut plus relayer le décompte des féminicides conjugaux que celui-ci assure depuis 2016. L’une de ses membres a ajouté : « Nous avions en tête de travailler sur une définition plus inclusive, plus large du féminicide, pour rendre visible la violence systémique à l’égard des femmes. C’est un continuum de violences ».  —  Du charabia, de la novlangue à l’état pur, a estimé Xavier après avoir entendu une conversation entre sa fille et Émeline. Je doute qu’on puisse poster un gendarme derrière chaque couple, même avec la meilleure volonté du monde… Et devant l’amplification de ce phénomène, il se demande si le fait d’en parler constamment dans les médias ne contribue pas à son expansion, comme un effet de mode, comme une menace palpable que

Chroniques vingt-et-unièmes — Divaguer, c’est réfléchir — 14 février 2022

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  Divaguer, c’est réfléchir Le chaos en Libye et en Somalie ; la guerre civile en Éthiopie et en Centrafrique ; des coups d’État au Mali, au Burkina Faso, au Soudan ; un quasi-coup d’État en Tunisie ; des tentatives de coup d’État en Guinée-Bissau et au Niger ; la dictature en Érythrée ; un régime autoritaire en Égypte, en Angola et au Congo-Brazzaville ; un gouvernement militaire au Tchad ; une insurrection salafiste au Nigéria ; une insurrection tout court au Gabon ; des menaces et des attaques djihadistes en Mauritanie, au Mali, au Niger, au Bénin, au Burkina Faso, au Kenya et au Mozambique ; un conflit larvé avec les indépendantistes de Casamance au Sénégal ; des visées séparatistes au Cameroun ;  des troubles au Swaziland ; l’instabilité en Gambie, au Burundi, en Côte d’Ivo ire et à Madagascar ; la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc ; des inégalités records et la prévarication à répétition en Afrique du Sud ; la corruption généralisée et des groupes ar

Chroniques vingt-et-unièmes — La tyrannie de l’immédiat — 7 février 2022

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  La tyrannie de l’immédiat Le professeur Marcus n’a que l’embarras du choix pour la prochaine séance du Liber Circulo , le cercle de lecture qu’il préside. Pierre Lemaître, Nicolas Mathieu, Éric Vuillard, Leïla Slimani, Michel Houellebecq, tous ex-lauréats du Goncourt, semblent s’être donné le mot pour la rentrée littéraire de janvier. Fort de la notoriété apportée par le célèbre prix, chacun poursuit son œuvre à sa manière, dans un genre très différent. Ces cinq-là, Marcus les considère au-dessus de la mêlée, ils émergent d’un flot qui ne cesse de grossir.  Car cette rentrée a été prolifique. Avec le confinement, les auteurs établis ont disposé de plus de temps, mais les auteurs en herbe tout autant. C’est ce qui explique pourquoi les éditeurs croulent sous les premiers romans. Certains ont d’ailleurs fermé provisoirement leur porte, éreintés par l’afflux. Un véritable coup dur pour tous ceux qui pensaient voir leur rêve s’affirmer en réalité. Marcus estime que tout cela s’inscrit da