Chroniques vingt-et-unièmes — Réfléchissons à tout ça — 14 mars 2022


 Réfléchissons à tout ça


—  Tu es vraiment sûr de vouloir faire une partie d’échecs ? Tu vas te sentir encore frustré de perdre…

Le ton de Sébastien est détaché. Il sait qu’il n’arrivera pas à convaincre Xavier de renoncer, lequel, avec une pugnacité émérite, revient éternellement tenter l’aventure.

—  Mais non, je ne serai pas frustré. J’ai maintenant l’habitude…

—  C’est toi qui vois… Alors, quelles sont les nouvelles du front ?

C’est l’éternel jeu. Sébastien lance, sans se dévoiler, ce type de perche pour entendre son ami commenter l’actualité, et bien sûr pour se donner l’occasion de le contredire.

—  Je ne vais pas t’apprendre qu’à moins d’un mois du premier tour Macron et Le Pen ont de bonnes chances d’être au second.

—  Je ne pensais pas vraiment à ce front-là…

—  J’en étais sûr. La campagne passe pour un événement anodin, comparée à la guerre en Ukraine. Mais il s’agit quand même de notre élection majeure !

—  Mais je m’y intéresse ! J’ai regardé le débat Pécresse-Zemmour…

—  Moi aussi. Je ne me prononcerai pas sur le vainqueur, mais je me demande si ces exercices ont encore un sens. On a l’impression qu’on cherche à déterminer qui est le meilleur débatteur. Mais le sujet, ce n’est pas ça ! Ce qu’on veut, c’est le meilleur président !

Le sentiment de Xavier, c’est que la campagne n’est pas à la hauteur, mais finalement, n’était-ce pas le cas des précédentes ? Il pourrait en reprendre dans le désordre les dernières péripéties. 

Par exemple, Sandrine Rousseau reproche à Yannick Jadot, largement à la peine, son changement de code vestimentaire sans l’avoir consultée. La cravate qu’il porte maintenant serait le signe qu’il épouse le moule de l’ancien monde. Concernant la crise, il se pose en candidat le plus vindicatif contre Poutine. Mais il n’est pas sûr que les Français aient réellement envie de le suivre.

Et Valérie Pécresse, qui se dit habituée de la « face nord » dans ce qu’elle entreprend, aurait peut-être dû choisir cette fois une stratégie différente. Cette « face nord », c’est le fait de se situer sur le terrain déjà bien encombré par la droite dure ou extrême, ce qui fait fuir vers d’autres horizons son électorat modéré. Dans son ascension, elle se rapproche peut-être de l’abîme…

Nathalie Arthaud, elle, est fidèle à ses convictions. Et détonne dans son analyse du conflit en Ukraine. Elle résume cette confrontation entre Poutine et le « camp impérialiste » à une « guerre entre brigands ». Une vision apocalyptique, le monde ne serait donc qu’une terre de brigandage ?

Sans être aussi excessif, Philippe Poutou ne se considère pas moins comme le candidat le plus légitime. Avec un argument irrésistible : il est le seul à vouloir abattre le capitalisme, la source de tous les maux de la planète.

Quant à Jean-Luc Mélenchon qui souhaite tout revoir, « de la cave au grenier », il a inventé un concept intéressant. Ayant calculé que lorsque l’État dépense 1 euro, c’est aussitôt 1,18 euro qui revient dans ses caisses, il se donne pour objectif d’augmenter les dépenses de 250 milliards, alimentant ainsi un « cercle vertueux ». L’État va donc s’enrichir en dépensant davantage.

Jean Lassalle, pour sa part, apparaît plus discret. C’est peut-être la voix la plus rassurante dans cette période, quoique totalement décalée. Il se dit le représentant de la ruralité, recherchant l’authenticité partout où elle se niche.

Pour Anne Hidalgo, l’horizon semble à présent se réduire à atteindre le fameux seuil de 5 % afin que le parti soit remboursé de ses frais de campagne pour éviter la banqueroute. Mais créditée à 2,5 %, cet objectif se révèle maintenant très ambitieux. Finalement, Rachida Dati, qui en début de campagne l’avait affublée du nom de « Madame 5 % », s’était montrée très flatteuse.

Nicolas Dupont-Aignan, qui n’en est pas à son premier essai, peine à trouver sa place entre ses concurrents Le Pen et Zemmour. Même en se situant du côté de la liberté et du « bon sens en action », cela ne paraît pas suffisant pour constituer un programme. Et il n’est pas certain que le ralliement de Florian Philippot lui soit d’un quelconque secours.

Et puis Marine Le Pen et Éric Zemmour, justement. Chacun pilonne dans son créneau, le pouvoir d’achat pour l’une et l’immigration pour l’autre. Deux sujets qui correspondent à des préoccupations, mais qui ne suffisent pas, là non plus, à bâtir un programme.

Et enfin, Fabien Roussel, avec son slogan « coco et cocorico » qui a réveillé certaines appétences, ou une nostalgie, pour le parti communisme, et qui ne recherche dans cette campagne qu’un succès d’estime, et probablement une revanche face à Jean-Luc Mélenchon. Le fait de se présenter comme le « candidat des jours heureux », cela pourrait fonctionner par les temps qui courent.

Se plaçant prudemment au-dessus de la mêlée, le président en exercice observe. Il ne participe même pas à ses propres meetings et refuse de débattre avec ses challengers pour le premier tour. C’est dire combien la campagne lui paraît lointaine. « Un déni de démocratie », selon ses opposants. Indépendamment de ses opinions politiques, Xavier n’a aucune sympathie pour ce genre de formules creuses et aussi galvaudées. Que changerait un débat ? Les 30 % qui vont se porter sur Macron n’en sont pas demandeurs. Et les 70 % restants ont peu de chance de modifier leur choix.

Le constat qui peut par contre être fait, c’est que parmi les 70 % de Français qui ont l’intention de se rendre aux urnes, près de la moitié vont voter pour l’extrême gauche ou l’extrême droite. 

Voilà où en est Xavier dans ses réflexions. Sébastien interprète son silence comme une absence d’avis, ou une réticence à engager la discussion sur un terrain sensible. Il revient au sujet qui mobilise toutes les attentions.

—  Tu penses peut-être quelque chose de l’Ukraine…

—  L’Ukraine, toujours… Depuis l’OMS de Poutine…

—  Depuis l’OMS de Poutine ? Que vient faire l’Organisation mondiale de la Santé dans tout ça ?

—  Pardon, je voulais parler de l’« Opération militaire spéciale »… (Sébastien hausse les épaules.) Depuis l’OMS de Poutine, donc, il n’y a pas un baril de pétrole de moins produit dans le monde. Idem pour le gaz : pas un mètre cube de moins. L’envolée des prix de l’énergie qu’on connaît en ce moment n’est due par conséquent qu’à des phénomènes spéculatifs. Mais pour moi, c’est temporaire. Comme il s’agit de marchés à terme, les acheteurs à découvert sont bien obligés de vendre à un moment donné pour empocher leurs bénéfices, puisqu’ils ne possèdent pas l’argent. C’est pourquoi la situation va se retourner très vite. Sauf… Sauf si la production ou l’approvisionnement diminue en créant ainsi un déséquilibre. 

—  Tu penses à un embargo ?

—  Bien sûr, à un embargo. Les États-Unis et le Royaume-Uni, qui sont producteurs d’hydrocarbures, peuvent se permettre un embargo comme ils l’ont annoncé. Ils compenseront. Mais pour l’Europe, c’est totalement différent. Et là, je ne comprends pas les prises de position de Thomas Piketty et de Raphaël Glucksmann, et même de Dominique de Villepin – venant de lui, j’en suis resté ébahi –, qui exigent dans des tribunes ou des interviews l’arrêt immédiat des importations de pétrole ou de gaz russes. Imaginent-ils les conséquences d’un litre d’essence à 10 ou 20 euros ? Mais ce serait des émeutes généralisées dans toute l’Europe, la révolution… Et ce ne serait pas pour déplaire à Poutine. Il est nécessaire bien sûr de réduire la dépendance avec la Russie, mais ça demandera du temps.

—  Le pétrole, le gaz, d’accord. Mais sur le fond de la guerre, tu en penses quoi ?

Xavier prend une inspiration :

—  La question me paraît la suivante : devons-nous faire la guerre pour défendre la souveraineté de l’Ukraine, comme nous l’avons fait en 14 pour défendre la souveraineté de la Serbie, avec le résultat que l’on sait ? Ironie de l’Histoire, la Serbie est le seul pays d’Europe aujourd’hui, à part la Biélorussie, à soutenir Poutine ! Réfléchissons à tout ça…

—  Donc, on se dégonfle…

—  Non, il faut des sanctions proportionnées. Je me méfie des va-t-en-guerre. Lors du débat, Pécresse a traité Zemmour de « Munichois ». Je n’affectionne pas particulièrement Zemmour, mais ça signifiait quoi ? Pouvait-elle aller jusqu’au bout de sa pensée ? En 38, avant les fameux accords de Munich, l’alternative était « on attend en accordant encore une chance à la diplomatie » ou « on fait la guerre tout de suite ». Pécresse veut-elle déclencher la guerre avec la Russie ?

—  En tout cas, ici, ça ne marche pas bien pour toi. Échec au roi !


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

14 mars 2022

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