Chroniques vingt-et-unièmes — L’ouvrage toujours sur le métier — 20 janvier 2025
L’ouvrage toujours sur le métier
Le sol poudreux craquelle sous les pas d’Émeline. Le mois de janvier retrouve une température conforme à la normale, une timide bonne nouvelle alors que l’année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée.
En rentrant à la maison, elle trouve Xavier dans la cuisine, penché sur sa tablette. Son teint est pâle, il ne devrait pas passer autant de temps à scruter les dernières informations, se dit-elle, car comme l’a si bien dit Stephan Eicher dans sa chanson « Les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent ».
— Du nouveau ? lance-t-elle.
— Non, rien… Il n’y a pas eu de motion de censure, mais le moment de vérité va être l’examen du Budget…
— Heureusement qu’on a la loi spéciale…
— Tu parles… Quand je pense qu’on l’a votée pour permettre à l’État de continuer à percevoir des impôts, mais aussi à la Sécurité sociale d’emprunter pour payer les pensions de retraite. Si on y réfléchit, ça fout les j’tons !
Émeline ramasse les vestiges du goûter qu’ils ont pris tout en faisant une moue.
— Ah ! les retraites… Dire qu’on remet l’ouvrage sur le métier… Pas sûr que cela donne des résultats…
— Il y aurait pourtant un moyen…
— Toi, tu aurais un moyen ? Alors que personne n’a réussi à trouver un accord ?
— Oui, il faut raisonner sur le nombre de trimestres, et non sur l’âge. L’âge, ça crispe tout le monde. Évacuons le sujet !
Évacuer le sujet ! pense Émeline. Xavier est vraiment naïf, il croit détenir la recette magique…
— Mais des syndicats ont déjà proposé de raisonner sur le nombre de trimestres. Ça n’a jamais abouti !
Xavier dit d’une voix posée :
— Je parle des trimestres réellement travaillés, et non des trimestres fictifs…
— Pardon ?
— Aujourd’hui, le calcul des trimestres est totalement faussé, donc on ne veut pas, et on ne peut pas, s’appuyer dessus.
— Par exemple ?
— Actuellement, l’attribution d’un trimestre est basée sur un minimum de salaire perçu dans le trimestre. Si je ne travaille qu’un mois dans le trimestre avec un bon salaire, je valide le trimestre entier. Avec cette règle, il me suffit de travailler un mois avec un bon salaire dans chaque trimestre de l’année pour valider les quatre.
— Ah oui… (Je ne m’étais jamais penchée sur la question, songe-t-elle.)
— Autre exemple : chaque enfant rapporte huit trimestres pour une femme.
— Tu voudrais remettre ce droit en cause ? (Là, ça irait trop loin…)
— Ce n’est pas ce que j’ai dit. Mais ce droit relève pour moi de la branche famille ou de la solidarité nationale, mais pas de la branche retraite.
— Tu ne fais que déplacer le sujet…
— Peut-être, mais ça permet d’établir le système de retraite sur des bases saines et de ne plus se polariser sur l’âge.
— Admettons… (Ce n’est pas dénué de bon sens.)
— Et il y a d’autres exemples. Les périodes de chômage rapportent également des trimestres. Ce sont pourtant des périodes d’inactivité ! Là aussi, c’est la solidarité nationale qui devrait prendre en charge, et pas le système de retraite. Si on remettait à plat les règles de calcul en se basant sur les trimestres réellement travaillés, on arriverait ainsi à un système clair, équitable, et ne donnant pas lieu à contestation. Prenons par exemple l’hypothèse de 42 annuités nécessaires, soit 168 trimestres, eh bien une personne ayant commencé à travailler à 17 ans pourrait partir en retraite à 59 ans. Par contre, une personne ayant commencé à 27 ans ne pourrait partir en retraite qu’à 69 ans, etc. Et il pourrait exister un mécanisme de décote et de surcote pour ceux souhaitant partir en retraite avant ou après avoir acquis le nombre de trimestres requis. Sachant que le nombre de trimestres nécessaires pourrait évoluer en fonction de l’équilibre du système. Mettre en place ces règles ne me paraît pas si compliqué. Et ce serait finalement assez proche d’un système par points. Un trimestre réellement travaillé, indépendamment du salaire perçu, correspondrait à une certaine quantité de points.
— Oui… à réfléchir…
Émeline disparaît dans le bureau et revient dans la cuisine, l’air absorbé, portant un lourd classeur. Elle en feuillette les pages.
— Que fais-tu ? demande Xavier.
— Je calcule mon nombre de trimestres, au cas où…
FIN
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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)
Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
20 janvier 2025
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