Chroniques vingt-et-unièmes — Un loup pour l'homme — 7 octobre 2024
Un loup pour l'homme
Grand Ouest américain. Avant la rentrée universitaire, Kevin et son épouse Clémence se sont autorisé le luxe de parcourir ces immenses territoires. Une route qui, à partir de San Francisco, sa magnifique baie et son Golden Bridge Gate, les a conduits jusqu’à Los Angeles et son Walk of Fame sur Hollywood Boulevard, son quartier huppé de Beverly Hills, sa plage de Santa Monica et sa colline de Hollywood. Trois semaines à découvrir dans l’ordre Yosemite Park et ses chutes d’eau spectaculaires dans des paysages alpins ; la Vallée de la mort, étendue inhospitalière et aride située parfois à 80 mètres en dessous du niveau de la mer ; Las Vegas, capitale de la démesure et du jeu ; la Vallée de feu, panorama de roches aux tons flamboyants ; Salt Lake City, sanctuaire prospère des mormons ; le parc de Grand Teton où culminent des monts de 4 100 mètres ; le parc de Yellowstone criblé d’impressionnants geysers ; la Tour du Diable haute de 306 mètres où s’est tenue la Rencontre du troisième type ; le Mont Rushmore et ses célèbres têtes de présidents taillées dans la montagne, où l’on croit encore apercevoir la course-poursuite de La Mort aux trousses ; et en granit aussi, la silhouette esquissée du chef indien Crazy Horse qui ne sera peut-être jamais terminée tant elle fait débat ; Denver et les Rocheuses dans le sillage de Thelma et Louise ; Arches National Park qui doit son nom à ses 150 arches de pierre creusées par l’érosion ; Monument Valley, le terrain de chasse de John Wayne ; la route 163 où Forest Gump s'est arrêté ; le lac Powell issu d’un barrage sur le Colorado, zone de contraste entre les eaux turquoise et l’incandescence de ses rivages ; le Grand Canyon, cette blessure géante de 446 kilomètres de long et 29 kilomètres de large par endroits, d’un dénivelé de 1,6 kilomètre, exposant des reliefs de 1,7 milliard d’années ; Laughlin sur la mythique route 66, où trône le Bagdad Café. Un kaléidoscope de paysages très différents, de désert souvent, de forêts de pins, de sapins, de bouleaux et de séquoias, de plaines infinies, de sols volcaniques.
Kevin et Clémence y ont retrouvé un peu la terre d’Hemingway et de Steinbeck, ressenti les pulsations terribles de la conquête de l’Ouest, de ces ruées vers l’or de centaines de milliers d’aventuriers fuyant les régimes hostiles ou la misère.
Mais aussi le « siècle de la honte », comme on l'a écrit, celui du dix-neuvième, ayant vu disparaître les grandes nations indiennes après les multiples traités signés avec les Américains qui ne les ont jamais respectés. Comment a-t-on pu ainsi exterminer ces natifs occupant le territoire depuis des millénaires, qui ne souhaitaient que continuer à y vivre, et faire venir du continent africain des millions d’autres qui n’aspiraient qu’à demeurer chez eux ? Ce sont les cruels paradoxes et infamies de l’histoire.
Alors, Kevin s'interroge : pourquoi, dans ce pays gigantesque, n’a-t-on pas eu l’idée de créer, parmi les cinquante qui composent l’Union, un État amérindien qui aurait laissé à toutes ces populations autochtones une relative autonomie – celle que possède aujourd’hui chaque État au sein de l’ensemble. Cela ne s’est-il pas réalisé avec l’Utah dans le but d’y accueillir les mormons porteurs d’une religion inventée de toutes pièces en 1830 ? C’était trop demander, sans doute. Et de cette conquête de l’Ouest, il reste une mythologie, la figure de l’Indien étant bien plus appréciée en gravure et en statue qu’en chair et en os.
Mais tout cela n’empêchera pas au siècle suivant, peut-être dans un grand élan de repentance, le grand oncle Sam de s’ériger en modèle de la planète. Et même de populariser par la voix du très estimé président Woodrow Wilson, à l’issue de la Première Guerre mondiale et moins de trente ans après avoir réprimé dans le sang à Wounded Knee la dernière révolte des Lakotas, le concept du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».
Ceux-ci qui scandent le slogan « Make America great again » pensent-ils à cela ? se dit Kevin.
Car au pays des ours et des bisons, l’homme a été un loup pour l’homme.
FIN
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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
7 octobre 2024
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