Chroniques vingt-et-unièmes — À l’avenir de décider — 21 février 2022




 À l’avenir de décider


Ludivine soupire. Elle déplore toutes ces bisbilles, sur un sujet aussi grave, entre les deux collectifs féministes #NousToutes et Féminicides par compagnons ou ex. Le premier reproche au second des propos « transphobes » et ne veut plus relayer le décompte des féminicides conjugaux que celui-ci assure depuis 2016. L’une de ses membres a ajouté : « Nous avions en tête de travailler sur une définition plus inclusive, plus large du féminicide, pour rendre visible la violence systémique à l’égard des femmes. C’est un continuum de violences ». 

—  Du charabia, de la novlangue à l’état pur, a estimé Xavier après avoir entendu une conversation entre sa fille et Émeline. Je doute qu’on puisse poster un gendarme derrière chaque couple, même avec la meilleure volonté du monde…

Et devant l’amplification de ce phénomène, il se demande si le fait d’en parler constamment dans les médias ne contribue pas à son expansion, comme un effet de mode, comme une menace palpable que l’homme lance contre sa compagne et qu’il met à exécution sous le coup de la colère.

—  C’est carrément honteux ce que tu dis, lui a rétorqué Ludivine.

Peut-il comprendre ce que ressent une femme emprisonnée dans un genre imposé par une paire de chromosomes XX distribuée aléatoirement ? Sans être mécontente ou méprisante vis-à-vis de sa condition féminine, elle aurait préféré la choisir, voire la tester, tout comme celle opposée, avant de consentir à l’endosser pour le reste de son existence. Derrière cette condition se cache selon elle une faiblesse naturelle, d’abord physique, et c’est pour cela que la lutte contre les féminicides fait partie des grandes causes de la jeune fille. Ceux dont on entend parler régulièrement ne vont surtout pas l’inciter à subir le modèle du couple, à endurer ce qu’elle considère comme une pression sociale parmi d’autres. Mais le désir d’engendrer est bien là, pour plus tard, quand la vie aura eu raison de ses autres aspirations, quand elle se sera habituée à l’idée que l’on ne change pas si facilement un monde dans lequel on a été précipité à la naissance, alors qu’on se sentait si bien sous la protection du ventre maternel. La PMA serait bien une solution, si d’ici là la source des donneurs ne se trouve pas tarie. Ce danger existe. Car un aspect n’a peut-être pas été examiné dans toutes ses implications. Avec la menace de lever le secret des accouchements sous X, on risque de voir se réduire les candidatures de fournisseur de gamètes, à l’image de ce qui s’est déjà produit dans certains pays. Beaucoup d’hommes sont prêts à cette « libéralité », par militantisme ou philanthropisme, mais sûrement pas pour s’exposer à être poursuivi ultérieurement en reconnaissance de paternité par des enfants en quête d’origine. Devra-t-on faire appel à l’immigration, comme on le pratique maintenant régulièrement pour les clercs ?

 Aujourd’hui, plus de 10 % des prêtres en France sont « venus d’ailleurs » (en utilisant la terminologie de l’Église), et ils sont issus presque essentiellement d’Afrique, leur nombre ne cessant d’augmenter. Anecdotique jusqu’à présent, la crise des vocations pourrait d’ici quelques années provoquer une déflagration, les scandales sexuels n’arrangeant rien. À moins que le taux de christianisation ne continue de décroître comme il le fait avec constance depuis la guerre. Moins d’offre mais aussi moins de demande, le problème pourrait alors être encore contenu quelque temps.

 Mais ce n’est que l’un des domaines où l’on constate une « inadéquation ». C’est également flagrant avec la santé : faute de soignants français, 30 000 médecins et 40 000 infirmiers étrangers, hommes ou femmes, exercent actuellement sur le territoire. Dans le secteur médical, Ludivine a déjà entendu son père Xavier dénoncer cette aberration : en raison du numerus clausus drastique et absurde qui a régné durant des années, et seulement atténué récemment, des milliers d’étudiants français vont se former en Roumanie, en Belgique et dans d’autres pays européens, là où les règles sont beaucoup plus souples, pour revenir in fine pratiquer sur leur sol d’origine.

La PMA est donc menacée. Pourquoi, à chaque fois que l’on semble trouver une solution, des obstacles viennent-ils se mettre en travers ?

Heureusement, toutes ces évocations de malheur, souvent confuses, parce que généralement isolées d’un contexte, ne s’attardent pas dans la tête de Ludivine. C’est l’avantage d’appartenir au royaume de la jeunesse, les idées volent et virevoltent, et elle ne se sent pas le courage de s’en saisir, de les maintenir captives dans un repli de son tissu cérébral pour s’en servir ensuite et se donner une quelconque ligne de conduite. Le temps a encore besoin de temps, elle observe et elle capte, et si elle ne se prive pas de juger, c’est en première instance. À l’avenir de décider s’il y aura appel.


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

21 février 2022

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