Chroniques vingt-et-unièmes — L’année 2024 n’est pas finie — 1er janvier 2024


 L’année 2024 n’est pas finie


Deux heures seulement avant les coups de minuit, le basculement vers une ère qui ne sera pas forcément nouvelle.

On a beaucoup discuté durant ce repas de réveillon de Nouvel An qui s’est tenu chez Romane et Sébastien. Le chapon est bien entamé et on se prépare à faire une pause. Xavier et Émeline sont les invités, sans Ludivine. On respecte la tradition : les jeunes vont faire la fête de leur côté.

Une conversation variée avec néanmoins une censure : éviter de mentionner le nom de Gérard Depardieu. Sujet trop sensible, trop « clivant », selon l’expression en vogue, et tohu-bohu redoublé avec la tribune de soutien de 56 artistes suivie d’une contre-tribune de 600 autres. Sans parler des procès en diffamation. À la base, des propos captés par la caméra de Yann Moix qui n’étaient pas destinés à être diffusés.

—  On ne devrait plus entendre ce genre de choses au XXIe siècle ! a soupiré Romane.

Xavier, lui, a esquissé un sourire ironique :

—  Ce sera difficile. Figure-toi qu’à toutes les époques depuis que l’homme existe, ce sont les individus ayant le plus d’appétit sexuel qui ont procréé le plus, que cela nous plaise ou non. Nous descendons tous de ces gens-là, il en reste forcément des traces…

—  Oui, mais aujourd’hui, nous sommes civilisés…

—  Civilisés ? a rétorqué Xavier en haussant les épaules. Avec ce qui se passe en ce moment en Ukraine et au Proche-Orient, je ne vois là aucun signe de civilisation… Mais bon… En tout cas, Macron a bien joué. Depuis son interview sur France 5, on ne parle plus de la loi immigration. C’est Depardieu, Depardieu et Depardieu !

—  La loi immigration, voilà un excellent sujet ! est alors intervenu Sébastien. 

—  Ah, non, pas ça ! a protesté Émeline.

Mais Sébastien a insisté :

—  Et pourquoi pas ? C’est un sujet crucial… Heureusement, 32 départements ont refusé d’appliquer les dispositions sur l’APA…

 Xavier s’est rejeté en arrière, prenant un air désabusé :

—  Oui, oui, on a vu ça. Notre chère Martine Aubry, maire de Lille, qui vient malheureusement de perdre son père, les soutient, car elle trouve la loi honteuse. Je me demande ce qu’elle aurait dit si en 2000 les départements de droite avaient refusé d’appliquer la loi sur les 35 heures…

—  On n’est pas dans le même registre ! a protesté Sébastien.

—  Si des départements refusent d’appliquer la loi, ou si on ne la promulgue pas, comme l’exige une pétition, je ne suis pas sûr que ce soit de nature à réconcilier les Français avec la politique…

—  Mais tu ne peux nier la lepénisation des esprits…

—  Je m’y attendais. Ça revient sans cesse : la « lepénisation des esprits » ! Je crois que tout le monde devrait lire Les ingénieurs du chaos, le livre de Giuliano da Empoli, vous savez celui qui a écrit le Mage du Kremlin. Il explique très bien le phénomène, et ça permet de comprendre ce qui se passe en France. Ce n’est pas une lepénisation des esprits, mais au contraire Marine Le Pen qui récupère toutes les idées contestataires circulant dans les têtes. En clair, elle dit ce que les gens ont envie d’entendre. Ni plus ni moins. C’est le principe même du populisme, terme que j’utilise tout de même avec des pincettes, car on est souvent le populiste d’un autre. Dans tous les endroits, à toutes les époques, il se trouve toujours quelqu’un voulant accéder au pouvoir avec ce procédé. Donc le diagnostic partagé par toute l’intelligentsia est mauvais. Et quand le diagnostic est mauvais, les remèdes sont mauvais. Il ne faut pas rejeter d’un revers de main ce qui se passe en qualifiant d’extrême droite des personnes qui, au passage, n’ont rien à voir avec Mussolini ou Hitler. On doit au contraire se demander pourquoi ils pensent ce qu’ils pensent, et faire œuvre de pédagogie. Prendre tous les sujets les uns après les autres, en débattre et démontrer qu’aucune solution n’est évidente. Mais on fait l’inverse. Ah, vous êtes d’extrême droite ? C’est la fachosphère qui parle ? Alors, on arrête de discuter ! Et pendant ce temps, ce qu’on appelle l’extrême droite prospère.

Sébastien a levé son verre. 

—  Pour la pédagogie, Xavier, je suis d’accord. Il faut expliquer, expliquer en permanence, plutôt que d’attendre un sauveur.

—  Oui, mais ce sera difficile. Qu’on le veuille ou non, nous sommes marqués par notre héritage judéo-chrétien. Il y a toujours cette attente eschatologique d’un homme providentiel qui renversera le monde ancien et instaurera le règne nouveau où tout sera simple et clair, où tous les problèmes seront réglés comme par enchantement, et où, au passage – car ça ne fait jamais de mal –, on remettra un peu d’ordre. Mais tu as raison : buvons !

Ce ne furent pas les seules discussions. Décembre a été doux, et le réchauffement climatique a évidemment tenu la vedette. Xavier a essayé de tester une idée :

—  On parle du réchauffement climatique, de l’épuisement des ressources, de la pollution, mais il y a un sujet qu’on évoque peu, c’est l’explosion démographique mondiale : un milliard d’habitants en 1800, deux milliards en 1930, quatre milliards en 1970 et maintenant huit milliards. À huit milliards, on pollue davantage, on consomme et on épuise plus de ressources qu’à un milliard !

Ce qui a fait réagir Romane :

—  Excuse-moi, mais ce que tu dis est un argument carrément raciste. Tu reprends d’ailleurs celui de Zemmour. Comme il y a une natalité galopante en Afrique et en Asie, ça permet de se dédouaner sur ces pays et de dire que nous, les Occidentaux, nous ne sommes pour rien dans le réchauffement climatique et la pollution. Mais une étude a démontré le contraire : entre 1900 et 2000, la population mondiale a augmenté d’un facteur quatre, alors que les émissions de CO2 ont, elles, augmenté d’un facteur quinze. Ce n’est donc pas la démographie qui est en cause mais nos modes de vie, et principalement en Occident. Un Français pollue bien plus qu’un habitant du Botswana !

—  Mais tu as parfaitement raison, a répondu Xavier, c’est le comportement. Et que les populations des pays émergents aspirent à atteindre le niveau de vie des pays développés, il n’y a rien de plus normal, on ne peut pas leur interdire. Il faut quand même admettre une chose. Quand une famille africaine de deux enfants veut atteindre ce niveau, le risque d’accroissement des émissions de gaz à effet de serre est limité. Par contre, pour une famille de huit ou dix enfants, ça commence à devenir gênant, et l’étude aurait dû en tenir compte. La démographie a donc une conséquence directe…

On ne dira pas la suite de cet échange, car il s’agit là sans doute d’un sujet complexe. Et pas moins ardu, le thème de l’éducation, objet aussi de toutes les attentions quand on observe les réformes lancées par Gabriel Attal. Sébastien s’est prononcé :

—  Porter la blouse à l’école, je doute que ça réduise les inégalités. Je pense qu’on ne prend pas le problème par le bon bout.

Xavier a levé les yeux au ciel :

—  L’école contre les inégalités ! Encore une exception française. Aux États-Unis et en Angleterre, par exemple, personne ne s’attend à ce que l’école réduise les inégalités. On demande simplement qu’elle transmette le savoir. En France, on veut qu’elle corrige toutes les tares de la société, et forcément, elle le fait mal, car les enseignants n’ont pas été formés pour ça. À se fixer trop d’objectifs, on n’en atteint aucun…

—  Comme pour la vaccination contre le papillomavirus…

—  Exactement, Émeline ! Seulement 2,5 % des enfants en âge de l’être ont été vaccinés. Mais là, il faut chercher du côté des parents. Soit ils pensent que leurs enfants ne s’intéresseront jamais au sexe, soit ils n’ont pas confiance dans les autorités sanitaires. Et je ne comprends pas la décision de l’enseignement catholique : parce qu’un garçon en état de stress après injection du vaccin est mort en faisant une chute, ce qui est évidemment malheureux, on interrompt tout le processus… Ça représente tout de même 20 % des élèves en France privés de ce vaccin ! C’est une mesure disproportionnée. C’est un peu comme si on suspendait toute la circulation automobile à la suite d’un accident. Est-ce qu’on arrêterait aussi tous les trains après un déraillement ?

Et puis la charlotte aux fraises est arrivée, préparée avec soin par Romane. Juste avant de s’embrasser, on a eu le temps d’évoquer l’immobilisation d’un avion à l’aéroport de Watry, ce qui a donné ceci :

Xavier : De quoi se mêle-t-on ? C’est une affaire entre Dubaï et le Nicaragua. Qu’ils se débrouillent entre eux ou qu’ils intentent des actions en justice !

Romane : Mais enfin, dès qu’on a connaissance de délits, il faut agir ! On ne peut pas fermer les yeux sur des crimes, qu’ils soient commis ici ou ailleurs.

Xavier : Alors si on veut agir partout où il y a des délits dans le monde, on a du boulot ! Comme si on n’avait pas assez de soucis chez nous…

Et on a amorcé le début d’année en se chamaillant sur la décision récente du pape d’autoriser la bénédiction pour les couples homosexuels, une initiative qui a provoqué un tollé dans les milieux catholiques, et qui n’est pas près de s’apaiser.

À deux heures du matin, il était temps pour Xavier et Émeline de rentrer chez eux.

—  Au moins, on a bien papoté, a dit Xavier en bâillant dans la voiture.

—  Oui, et l’année 2024 n’est pas finie…



FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

1er janvier 2024

Commentaires

  1. Anonyme18:13

    C'est intéressant de discuter des problèmes récents sous cette forme. Puisqu'il s'agit, de toute façon, d'une discussion générale.

    Certaines idées me paraissent plus claires et j'adhère à certaines d'entre-elles.

    Ce qui est sûr, c'est qu'il va falloir trouver de bons compromis pour résoudre ces problèmes.

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