Chroniques vingt-et-unièmes — Ce qui permet de vivre et d’espérer — 29 janvier 2024


 Ce qui permet de vivre et d’espérer


Un trou noir supermassif découvert aux confins de l’Univers observable, c’est le genre d’information propre à éveiller l’intérêt du professeur Marcus.

Selon les spécialistes, il s’agirait d’un trou noir « endormi » – eh oui, les trous noirs peuvent dormir comme des bêtes repues, pendant des millions d’années parfois – qui se serait réveillé au passage d’objets cosmiques en grande quantité qu’il aurait attirés par sa force gravitationnelle colossale. Et ce, en émettant un flash de lumière surpuissant capté par nos télescopes. De plus, un autre trou noir apparu seulement 440 millions d’années après le Big Bang a été repéré, le plus vieux jusqu’à présent, alors qu’on pensait qu’il s’agissait de phénomènes plus récents. Et pour couronner le tout, un corps céleste mystérieux, baptisé « X7 », se déplaçant vers le centre de la Voie lactée, là où réside encore un trou noir gigantesque, a été observé. On ignore ce que c’est, quelle est son origine, mais certains experts suggèrent qu’il pourrait résulter de la collision de deux étoiles, un débris en quelque sorte.

—  On est bien peu de chose…, soupire Louis aux annonces du professeur Marcus. (Et il entonne la chanson de Françoise Hardy.) Imagine que le Soleil percute Proxima…

—  C’est toujours possible, les deux systèmes ne sont distants que de quatre années-lumière, mais je pense que nous avons quelques centaines de millions d’années devant nous avant que ça arrive…

C’est l’heure de la pause. Ils ont chacun terminé leur cours à Jussieu, et Louis a rejoint Marcus dans son bureau. Ils sont encore sous le choc du changement de ministre de l’Éducation nationale. Ça commence à faire beaucoup en si peu de temps. Et qui plus est, une nouvelle ministre ciblée par des tirs de barrage. Dans ces conditions, il vaut mieux parler des étoiles. Marcus replie National Geographic et s’adresse à nouveau à Louis.

—  Nous avons vraiment beaucoup à apprendre. Connais-tu Thomas Hertog ?

—  Vaguement, Il a travaillé avec Hawking ?

—  Oui. C’est un astrophysicien belge qui a été le collaborateur de Stephen Hawking pendant vingt ans…

—  Rien que ça !

—  Comme tu dis… Et il vient de sortir un livre, L’origine du Temps, issu des dernières recherches menées par Hawking. Son testament, finalement. Il y expose la théorie selon laquelle les lois physiques n’existent que depuis le Big Bang. Ça, on peut l’admettre puisque ce qui a précédé le Big Bang est censé être le néant. Mais ces lois ne seraient pas immuables. Très complexes à l’origine, elles évolueraient au fil de l’expansion de l’Univers, tout en se simplifiant. Mais à force de se simplifier, elles pourraient disparaître, tout comme la matière et le temps qu’elles ont engendrés, et on retournerait ainsi au néant… Original, non ?

Les sourcils de Louis trahissent la perplexité.

—  Et il le prouve ?

—  Tu sais bien qu’on ne peut pas prouver ces choses-là, du moins pour l’instant. Ce sont des intuitions, des hypothèses, des pistes…

Louis tire un paquet de tabac de sa poche de pantalon, et commence à en rouler quelques miettes dans un papier fin sorti de son veston pour en faire un petit boudin.

—  Eh ! Je croyais que tu avais arrêté de fumer…

—  Dis donc, c’est le mois sans alcool, pas le mois sans tabac ! 

—  Et tu les roules maintenant ?

—  Je me mets à la mode de mes étudiants…

—  Tu ne vas tout de même pas fumer dans mon bureau !

—  C’est pour plus tard… (Louis fait une légère pause, attentif à égaliser le semblant de cigarette qu’il vient de confectionner.) J’ai lu un bouquin de Hawking, celui qu’il a publié il y a très longtemps, à la fin des années 80 : Une brève histoire du Temps. Ce que j’ai trouvé intéressant – il faut préciser qu’à l’époque j’étais tout jeune…

—  Et moins enveloppé…

—  Si tu veux… Et arrête de me chercher… Ce que j’ai trouvé intéressant, donc, c’est la notion de perfection qu’il met en avant. Selon lui, l’ensemble des constituants et des lois physiques de l’Univers serait très propice à son développement, ce serait même une situation quasi idéale. Tout serait fait pour qu’il fonctionne au mieux. Mais ça m’a paru quand même trop beau. Comme un jeu dont les règles seraient conçues afin que tout se déroule sans accrocs. Mais qui aurait alors inventé les règles ?

Marcus se penche en arrière au risque de faire basculer son fauteuil, et regarde le plafond. Il répond d’un ton rêveur :

—  La question éternelle, mon cher Watson… L’obsession de Hawking toute sa vie – comme celle de beaucoup d’autres physiciens, d’ailleurs – a été d’unifier la relativité générale et la mécanique quantique, ce qu’il appelait la « Théorie du Tout ».

—  C’est vrai, acquiesce Louis, et je sais aussi que plus tard il s’est demandé si, en se basant sur la théorie des cordes, plusieurs Big Bang en nombre indéterminé n’auraient pas pu se produire simultanément, donnant naissance à plusieurs univers. Étant entendu que c’est celui possédant les meilleures lois physiques, le mieux formé d’une certaine manière, le plus adapté, le nôtre, donc, qui aurait subsisté. Ça rappelle la sélection naturelle de Darwin et nous ramène au point d’avant. Prenons par exemple le cas de la constante cosmologique qui est à la base de l’accélération de l’expansion de l’Univers, eh bien cette constante, toujours selon Hawking, elle aurait une valeur optimale. D’autres univers ayant une constante différente auraient disparu très vite…

—  Je ne suis pas sûr qu’il soit si parfait que ça, notre univers. Jusqu’à preuve du contraire, nous ne sommes quand même qu’une exception dans une immensité glacée… 

—  Parfois, je me dis que c’est préférable ainsi. Imaginons qu’il existe des extraterrestres. Pourquoi seraient-ils amicaux ? Regarde ce qui se passe entre les membres de notre espèce. L’Ukraine, le Proche-Orient… Alors avec des Aliens…

—  Peut-être, poursuit Marcus, mais ce n’est pas tout : nous ne sommes que du vide ! Il est habituel d’affirmer que la nature a horreur du vide, mais la nature n’est faite que de vide ! Un vide terrifiant sépare les galaxies entre elles. De même pour les étoiles au sein des galaxies. Et si l’on considère la matière, l’espace entre les atomes d’une molécule, entre les particules élémentaires d’un atome et entre les quarks des particules élémentaires en constitue l’essentiel. Nous, et tout ce qui nous entoure ne sommes faits que de vide ! Mais nous ne le voyons pas !

—  Alors pourquoi les agriculteurs manifestent ? Pour du vide ?

—  Encore une bonne question. C’est ce que nous ne voyons pas qui nous permet de vivre et d’espérer…



FIN


https://gauthier-dambreville.blogspot.com

https://app.partager.io/publication/gd

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

29 janvier 2024

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Chroniques vingt-et-unièmes — Aboutir à des impasses — 5 février 2024

Chroniques vingt-et-unièmes — L’année 2024 n’est pas finie — 1er janvier 2024