Chroniques vingt-et-unièmes — Aboutir à des impasses — 5 février 2024


 Aboutir à des impasses


Les bourgeons se gonflent, rompant le sommeil de l’hiver. Xavier et Sébastien avancent d’un bon pas en lisière de forêt. Ils marchent sans parler, absorbés par leurs pensées. Tout à coup, le second secoue la tête, comme pour chasser une idée.

—  Gabriel Attal bientôt dans une série… Après son discours de politique générale à l’Assemblée… Dans Askip, je crois. On aura tout vu !

Xavier se retourne.

—  Il y a une logique à cela…

—  J’aimerais bien savoir laquelle !

—  Je vais t’expliquer : d’après des études, les gens s’intéressent de moins en moins aux infos, surtout les jeunes ; par contre, les séries ont le vent en poupe. Il paraît qu’un foyer français sur deux est abonné à Netflix. Il est donc logique que le Premier ministre cherche à toucher les Français par une série, ce qu’ils regardent en fait. Et puis, on dit toujours que dans les séries et les films, il faut montrer la « vraie vie » et des « vraies gens ». Quoi de mieux que d’avoir le vrai chef du gouvernement qui joue son propre rôle ?

—  Pfft… marmonne Sébastien. Et la droitisation du gouvernement, il y a aussi une logique ?

Ils sont maintenant côte à côte. 

—  Mais oui, justement. La France est bien plus à droite aujourd’hui qu’en 2017, quand Macron est devenu président. On peut le regretter – certains le regrettent, comme toi – mais c’est la réalité. Le gouvernement, donc, s’adapte. Il reflète la sociologie du moment…

—  D’abord, répond Sébastien sans écouter son ami, je me demande pourquoi je parle du gouvernement puisque le Président décide de tout.

—  Rien de nouveau. C’est ce qu’on entend depuis De Gaulle. On a fait le même reproche à tous les présidents, sauf en période de cohabitation. Pourtant, on est contradictoire : quand ils sont trop précis, on dit qu’ils se mêlent de tout ; quand ils sont trop vagues, on dit qu’ils sont flous. Ce qui permet ensuite d’affirmer que « lorsque c’est flou, c’est qu’il y a un loup », pour reprendre l’expression de Martine Aubry…

—  En tout cas, son « réarmement démographique » était déplacé.

Xavier s’arrête, pieds joints, mains dans les poches.

—  J’ai entendu de certaines personnes que le « réarmement démographique » est un discours droitier. Ou des féministes accuser le Président de vouloir « administrer leur ventre ». Et même Sandrine Rousseau s’indigner en proclamant que « les utérus ne sont pas une affaire d’État ». Je me demande si on a connu ces réactions au moment de la création des allocations familiales après la guerre. Il me semble qu’à l’époque, la décision a été plutôt bien accueillie et qu’on n’a pas fait tant d’histoires. Pourtant, aujourd’hui, des féministes montent au créneau. Je ne sais pas si désirer des enfants est de gauche ou de droite, mais, sauf erreur de ma part, ce sont les femmes qui les mettent au monde.  Et quand on parle de natalité, elles sont forcément au cœur du sujet. À moins qu’on ne veuille fabriquer des bébés-éprouvette du début jusqu’à la fin, complètement in vitro. Ce pourrait être un axe de recherche… 

Xavier songe aussi à l’interview d’un député Renaissance où une journaliste, à propos du futur congé naissance limité à six mois et voué à remplacer l’actuel congé parental de trois ans moins rémunéré, a lancé : « Vous voulez remettre les femmes au travail… ! » 

Il me semblait pourtant que le travail faisait partie des conquêtes féminines. Là, je suis vraiment déboussolé…

Sébastien hausse les épaules. Il reprend la marche sur le sentier forestier en pestant contre l’État.

—  La difficulté en France, continue Xavier, c’est qu’on maudit l’État tout en voulant qu’il soit omniprésent pour régler tous les problèmes. On le constate depuis cinquante ans…

—  Sans doute, sans doute… Je ne croyais pas que Dati entrerait au gouvernement. Je me rappelle qu’elle a été très dure avec Macron par le passé… 

Xavier sourit en essayant de suivre Sébastien qui a accéléré le pas.

—  On parle d’une prise de guerre pour Rachida Dati. Selon moi, une vraie prise de guerre, se serait Éric Ciotti devenant porte-parole du gouvernement. Là, je serais scotché !

—  Ne plaisante pas… Et Oudéa-Castéra, elle ne devrait pas partir ? Elle est maintenant totalement discréditée …

—  Je pense que la ministre a été maladroite dans ses réponses. Mettre ses enfants dans l’enseignement privé est un choix personnel, comme aller à l’église le dimanche. À mon avis, elle aurait dû répondre qu’elle est la ministre, aussi bien de l’enseignement public que de l’enseignement privé. Ou bien, ce serait exclure l’enseignement privé de la République.

—  Certains réclament sa démission…

—  Oui, comme d’habitude… Méfions-nous des réflexes pavloviens. On aimerait quand même qu’un ministre de l’Éducation nationale reste un peu plus de quelques mois à son poste.

—  Mais enfin (Sébastien s’arrête à nouveau), il faudrait peut-être donner plus de moyens à l’Éducation !

—  Des moyens, des moyens… tout le monde demande des moyens supplémentaires. Tu connais ma position : un pays qui redistribue 60 % de la richesse produite et où tout le monde se plaint du manque de moyens est un pays qui ne crée pas assez de richesse. Avec toutefois une nuance : une part de plus en plus importante de la richesse produite sert à payer les intérêts de la dette. On comprend que la situation ne peut pas durer longtemps comme ça.

—  Donc, on ne fait rien ?

On ne peut pas affirmer qu’on ne fait rien, réfléchit Xavier avant de répondre. Les pays occidentaux, et bien évidemment la France, présentent le même travers : la difficulté à définir des priorités. Deux exemples : les passoires thermiques et les OGM. On veut ainsi lutter contre les passoires thermiques et on exige des propriétaires concernés de faire les travaux nécessaires sous peine de ne plus pouvoir louer leurs logements. Résultat, une majorité d’entre eux vont retirer leurs biens du marché alors qu’en même temps il y a de plus en plus de mal-logés et de SDF. Qu’est-ce qu’on cherche ? Loger les personnes qui en ont besoin ou lutter contre les passoires thermiques ? Et les OGM. En France, ils sont totalement interdits et pourtant il existe des variétés de céréales génétiquement modifiées qui supportent mieux les insectes et les maladies, ce qui réduit l’utilisation des pesticides. Qu’est-ce qu’on cherche ? Bannir les OGM ou diminuer l’utilisation de pesticides ? En fait, on ne choisit pas, tout est prioritaire et on aboutit à des impasses. Et les gens, quand ils sont coincés dans des impasses, on ne maîtrise plus leurs réactions.

Sébastien insiste :

—  Alors, on ne fait rien ?

C’est à ce moment qu’une nuée de pigeons occupés à picorer des graines dans un champ s’envole à leur approche. Xavier les observe.

—  Si, il faut faire quelque chose. Mais je suis content qu’on ait libéré le pigeon soupçonné d’être un espion en Inde.

—  Pardon ?

—  Tu n’es pas au courant ? Un pigeon qu’on croyait être un espion pour le compte de la Chine a été emprisonné huit mois par les autorités indiennes. 

—  Un espion !?

—  Oui. Une procédure pour espionnage a été engagée contre lui, mais par chance, il vient d’être innocenté !

—  N’importe quoi…

—  Mais non, ce n’est pas n’importe quoi. Ce genre de mésaventure est arrivé plusieurs fois là-bas à des pigeons. Aussi, nous devrions être heureux de vivre dans un pays où les pigeons sont si libres et ne s’enferment pas dans des impasses…



FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

5 février 2024

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