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Chroniques vingt-et-unièmes — Le pire n’est jamais sûr — 28 juin 2021

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  Le pire n’est jamais sûr —  Ludivine, s’il te plaît ! Ludivine qui, sac à dos sur l’épaule et cheveux en bataille, s’apprête à sortir se retourne vers sa mère : —  Oui… —  Tu ne portes pas de soutien-gorge ? —  Maman, le soutien-gorge, c’est fini tout ça ! —  Ah oui, et depuis quand ? —  Tu ne connais pas le mouvement « No Bra » ? On le suit toutes maintenant. Y en a marre de cette dictature patriarcale qui nous impose de porter un soutien-gorge. Et plus de maquillage non plus, c’est la vraie liberté ! Émeline est éberluée. Serait-ce une réminiscence de 68 où les féministes jetaient leurs sous-vêtements sur les barricades en signe d’émancipation ? L’histoire n’est pas un éternel recommencement mais on trouve ce type de constante. —  Tu fais ce que tu veux, tu es majeure mais il y a quelque chose que je ne comprends pas : il y a des jours où tu t’habilles en chiffonnière comme si tu portais une sorte de sac et aujourd’hui tu sors à peine habillée. Je te signale que ton corsage est tra

Chroniques vingt-et-unièmes — Tracer son chemin — 21 juin 2021

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  Tracer son chemin Jour d’élections. Régions et départements renouvellent leurs conseillers. Xavier et Émeline se déplacent vers le bureau de vote, lentement, poussés par une force qui tient davantage du devoir que d’une volonté délibérée, une sorte d’atavisme issu de leur plus jeune âge, sachant au plus profond d’eux-mêmes que l’enjeu est quasi nul, les régions disposant par exemple, heureusement ou malheureusement, et malgré toute l’importance qu’on veut leur donner dans cette période électorale, d’un pouvoir très limité et peu susceptible de changer, même à la marge, la vie du citoyen. Car de quoi parle-t-on au juste ? Conséquences de la loi de décentralisation, les prérogatives des régions concernent les transports, l’entretien des lycées, la formation professionnelle et un peu d’animation économique, le tout avec un budget total de 33 milliards d’euros, soit 1/13e de celui de l’État, ce qui représente en moyenne 1,83 milliard pour chacune des 18 régions. Que fait-on avec 1,83 mil

Chroniques vingt-et-unièmes — Donner du sens — 14 juin 2021

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  Donner du sens —  Je ne m’en sortirai jamais, s’exclame Émeline, cet ordi va me rendre folle, je viens de perdre tout ce que j’ai écrit. Xavier lève les yeux de sa tablette et fixe sa femme : —  Pour paraphraser Sénèque, l’informatique n’est pas chose qui convienne aux délicats… —  Oui, je connais tes phrases toutes faites : « Pas d’informatique sans bugs… ». Je préfère passer à autre chose. Tiens, veux-tu que je te raconte un conte de fées qui vient de se produire ? —  On en a bien besoin en ce moment. —  C’est Hamid qui m’en a parlé… —  Hamid ? Comment va-t-il en ce moment ? Émeline explique : à côté de son job dans un restaurant, Hamid apprend le français grâce à une association et c’est là qu’il a connu un autre Afghan, Mahmud Nasimi. —  Et alors, ce ne sont pas les réfugiés afghans qui manquent à Paris… remarque Xavier. —  Ce Mahmud Nasimi en question est arrivé en France en 2017, ne connaissant pas du tout notre langue et il publie en ce moment, en français, un livre qui s’appe

Chroniques vingt-et-unièmes — L'instant zéro — 7 juin 2021

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  L'instant zéro Une pause dans le Jardin des Plantes après le parcours du combattant de Parcoursup que le professeur Marcus vient d’accomplir en tant que membre du comité de sélection de Jussieu. Pendant cette période intense, il ne s’est octroyé qu’un instant de relâche avec le concours de l’Eurovision qu’il a regardé dans son intégralité, calé dans son fauteuil en picorant une pizza, une façon rapide d’appréhender l’état de l’art de la chanson en Europe, de se tenir au courant, tout en écartant certaines prestations qui ressemblaient plus à un numéro du Crazy Horse ou à une exhibition un peu rétro de poupées Barbie. Mais pourquoi critiquer, c’était au moins une manifestation pacifique, une parenthèse bienvenue, une respiration attendue dans une géopolitique parfois violente. Et puis, il doit avouer, peut-être faut-il attribuer cela à un chauvinisme déplacé, et c’est ce que pense son fils Thomas, qu’il a pour une fois  aimé la prestation de la France, celle de la chanteuse Barb

Chroniques vingt-et-unièmes — Accepter le passé — 31 mai 2021

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  Accepter le passé C’est un silence, non pas gêné mais surpris, qui s’installe à la suite des dernières paroles de Ludivine. Personne dans la petite assemblée ne s’attendait à ce qu’elle parle en termes aussi élogieux de l’œuvre d’Agatha Christie. Et pourtant, Agatha Christie, Ludivine vient de la découvrir. Elle dévore depuis plusieurs semaines l’anthologie de l’écrivaine britannique que son père à reléguée à la bibliothèque de l’étage, non loin de sa chambre. Une passion subite, peut-être éphémère comme il en est de toutes les passions, à tel point qu’elle en oublie parfois de répondre aux SMS et, plus ennuyeux, de suivre en ligne ses cours d’arts du spectacle. Ce qu’elle apprécie dans les romans et nouvelles de cette femme – et qu’elle s’est efforcée d’expliquer à l’assistance médusée – c’est, outre la finesse des enquêtes policières qui constitue évidemment le premier attrait pour tout amateur de polar, la description anthropologique de la société occidentale de l’entre-deux-guerr

Chroniques vingt-et-unièmes — Armistice et jours acides — 24 mai 2021

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  Armistice et jours acides Le jour tant attendu, le 19 mai, comme un nouveau « D day ». Une date dont on se souviendra plus tard comme un armistice avec un ennemi qui s’est immiscé dans l’intimité de chacun, une promesse de revanche sur un temps sacrifié, celui des théâtres et des spectacles fermés, des restaurants et des bars aux chaises renversées, des boîtes de nuit qui ne voient plus le jour, des films qui ne connaîtront jamais le regard des critiques, des jours inertes qui succèdent aux jours inertes. Ce jour ouvre peut-être de nouvelles Années folles , un temps et un espace d’excès, le défouloir d’attentes larvées dans une époque où la moindre contrainte, aussi éphémère soit-elle, est jugée liberticide par les tenants – nul n’est à l’abri des paradoxes – d’un ordre antilibéral. Avec son groupe d’amis de Nanterre, Ludivine a pleinement savouré la fête. Trois terrasses au moins sous le soleil déclinant, où les bières ont chanté les retrouvailles, ruisselant parfois sur le pavé, da

Chroniques vingt-et-unièmes — Être d’accord sur tout — 17 mai 2021

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  Être d’accord sur tout —  Toi aussi, tu verses dans la chronique mondaine ! Il ne s’agit pas vraiment de cela, Xavier l’explique : la séparation de Bill et Melinda Gates, après vingt-sept ans de mariage, est une information dont les développements s’inscrivent au-delà d’une histoire intime. L’annonce, épurée, factuelle, a dû être longuement travaillée : « Après mûre réflexion et beaucoup de travail sur notre relation, nous avons pris la décision de mettre fin à notre mariage. »  Après tout, il ne s’agit que de la séparation banale d’un couple, mais ce couple par le biais de sa fondation a quand même financé la recherche de vaccins et la lutte contre diverses maladies pour 53 milliards de dollars ! Dans le monde, quelques-uns des 1 600 employés de ladite fondation doivent s’interroger sur leur avenir, celle-ci n’étant souvent que le seul employeur à l’échelon local. Mais on peut considérer que, comme toute organisation humaine (dont contrairement à ses créateurs, la mort n’est pas ins

Chroniques vingt-et-unièmes — Des cendres encore brûlantes — 10 mai 2021

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  Des cendres encore brûlantes 21 heures ce jeudi 5 mai. Thomas est rentré à son studio de Saint-Ouen et s’est jeté sur son canapé, épuisé. Dans l’après-midi, il a réussi à prendre place dans la petite cohorte qui a assisté à la cérémonie de commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon. D’abord à l’Institut de France où le président de la République a prononcé un discours, puis aux Invalides où le même président a déposé une gerbe au pied du tombeau et respecté une minute de silence. La formation d’historien de Thomas – il est candidat à l’agrégation et s’est spécialisé dans l’époque napoléonienne –, ainsi que quelques relations, lui ont permis d’obtenir l’invitation. Mais ce n’est pas seulement cette formation qui l’a poussé à suivre l’événement. S’y sont mêlés aussi des sentiments personnels. Bien sûr, il y a eu une nouvelle fois un débat passionné à propos de cette « figure de l’histoire », qui surgit régulièrement à l’occasion d’un anniversaire (50e, 100e, 150e, 200e) de sa