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Chroniques vingt-et-unièmes — Pourquoi des réponses ? — 29 mars 2021

  Pourquoi des réponses ? Le silence de la forêt est l’endroit propice pour retrouver, dans une lumière haletante, la sérénité, surtout quand on vient, comme Xavier, et selon une habitude maintenant ancrée, de perdre deux parties d’échecs. Suivant l’exemple de la dernière fois, il y a entraîné Sébastien après la défaite et respire de tout son saoul l’air chargé d’humus des sous-bois. Ils parlent peu dans l’épaisseur feutrée des ramures qui les entourent, comme expurgés furtivement de leur époque, et puis, parvenus à une clairière, Sébastien rompt ce moment paisible. Ayant quelque argent à placer à la suite d’un héritage, et fidèle à ses convictions, il songe à de l’« investissement socialement responsable », que les banques, dans une œuvre purement rédemptrice ou suivant l’air du temps, proposent avec force en ce moment. Il prend conseil auprès de Xavier qui suggère :  —  As-tu pensé au bitcoin ? Sébastien lève la tête : —  Tu plaisantes… Je regarde la cime de ces arbres et comme dit l

Chroniques vingt-et-unièmes — Croyances et recommandations — 22 mars 2021

  Croyances et recommandations La file d’attente s’allonge devant le laboratoire. Celui-ci n’ouvre qu’à 9 heures mais Émeline a préféré s’y présenter une demi-heure avant. Peine perdue : trente personnes attendent déjà pour ce fameux test PCR. Chacun se plie au protocole, attend sagement en remplissant le questionnaire, ce qui prend cinq bonnes minutes : l’identification complète, les raisons du test et, pour finir, une information sur les « dangers éventuels ». La raison d’Émeline est simple : elle doit rendre visite le lendemain à sa tante dans un Ehpad du Blésois qui exige un résultat négatif du test. Un parcours du combattant qui peut ressembler à une impasse. Car le test demandé doit dater de moins de 48 heures alors qu’elle n’est pas sûre d’en obtenir le résultat dans la journée et qu’elle n’est pas libre le surlendemain… Les autres personnes, d’après les chuchotements qui lui parviennent, se font tester pour des motifs professionnels, la plupart travailleurs indépendants ou titu

Chroniques vingt-et-unièmes — On ne choisit pas son âge — 15 mars 2021

  On ne choisit pas son âge —  Vous avez vu pour Danone ? Pour une fois qu’on avait un PDG qui ne pense pas qu’au fric ! —  Tu fais allusion à Emmanuel Faber ? répond Xavier. Il a levé la tête de sa tablette devant l’indignation de Ludivine qui, mèches en bataille et encore légèrement humides après le séchoir, vient de rejoindre la table de petit-déjeuner. —  Bien sûr. Xavier hoche la tête : —  Oui, c’est malheureux pour Emmanuel Faber. C’est vrai qu’il a eu le courage de donner à Danone le statut de « société à mission », la seule du CAC40, avec des objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux. Mais l’action a perdu 30% de sa valeur en dix-huit mois… —  Mais on s’en fout de la valeur de l’action ! rugit-elle. —  Tout dépend de ce qu’on recherche. La stratégie d’une entreprise, c’est, en théorie, un équilibre entre l’aspect commercial, financier et social. Il semble que l’équilibre mis en place par Faber n’ait pas convenu aux actionnaires. Alors on peut, pour se soulager, crier sur

Chroniques vingt-et-unièmes — Morale du temps et de l’espace — 8 mars 2021

  Morale du temps et de l’espace Une séance du samedi après-midi au Liber Circulo, organisée en journée, couvre-feu oblige. Cinq personnes déjà : le professeur Marcus évidemment, le fondateur du club littéraire ; Louis, son collègue de Jussieu ; et puis Guillaume, Elsa et Damien. On attend encore Ludivine et trois autres membres. Marcus prépare la table où va se dérouler la discussion qui suivra l’examen d’un livre (aujourd’hui, La Sainte Touche de Djamel Cherigui, épicier de son état à Roubaix mais jeune écrivain prometteur, qui s’est lancé dans la douleur et avec succès dans un premier roman). Elsa, gérante d’une galerie dans une rue adjacente des Champs-Elysées, s’interroge sur un mouvement émergent qui voudrait rendre indissociable l’œuvre artistique de son auteur. Elle se sent directement concernée, citant Polanski et la polémique suscitée par le César reçu pour son J’accuse . Mais aussi les prises de position à propos de Balthus. Des avis partagés, on s’en doute. Louis  et  Dami

Chroniques vingt-et-unièmes — Peut-être qu’avec l’habitude… — 1er mars 2021

  Peut-être qu’avec l’habitude… Le froid est moins intense. De la Goutte d’Or, Hamid remonte le boulevard de la Chapelle vers le métro Stalingrad où sous une tente va bientôt se tenir une distribution de soupe. Étape indispensable. Même s’il est employé occasionnellement pour quarante euros par jour, et sous le manteau, à éplucher des légumes dans un restaurant qui pratique la vente à emporter, ce n’est pas suffisant. La sous-sous-location d’un compte Uber Eats lui rapporte aussi quelques ressources. Mais à la ville, il y a forcément des dépenses. Et il veut pouvoir se payer une fois par semaine une chambre à l’hôtel pour s’offrir une toilette complète. Le reste du temps, il lui reste pour dormir la nuit les porches d’immeuble ou les devantures de magasin, enroulé dans trois couvertures offertes par Émeline. Car il fuit les regroupements dans les squares ou sous le périphérique. Trop de trafics, trop de violences parmi une population venue trouver un Éden qui se dérobe chaque jour. Il

Chroniques vingt-et-unièmes — Un problème de moins — 22 février 2021

  Un problème de moins De son bureau, Xavier perçoit une bribe de conversation s’échappant du séjour entre Émeline et Ludivine. Sa fille évoque les affaires d’agressions sexuelles dans les IEP. Normal, c’est l’ordre du jour imposé par les médias en ce moment. Et comme toujours, Ludivine est très revendicative, elle demande des sanctions exemplaires. Nul doute que le gouvernement va se saisir du sujet comme il vient de le faire à la suite des affaires d’inceste. Si pour ces affaires d’IEP, il ne remet pas en cause les faits allégués, Xavier se demande dans quelles proportions ceux-ci se sont produits. S’agit-il de dérives à la marge ou d’un état d’esprit général ? Quelques cas ou une pratique généralisée pour les milliers, voire les dizaines de milliers d’élèves, qui se sont formés dans ces écoles ? Car les conclusions à en tirer peuvent être très différentes. Mais l’histoire ne le dit pas. C’est d’ailleurs pour lui l’un des reproches qu’il nourrit contre la presse. On relate des opinio

Chroniques vingt-et-unièmes — Agrandir notre champ de vision — 15 février 2021

  Agrandir notre champ de vision Sandwich à la main, Marcus et Louis vont s’installer sur un banc du Jardin des Plantes. C’est le règne de la vente à emporter, les deux professeurs de Jussieu regrettent les déjeuners du temps lointain où l’épidémie n’avait pas encore frappé. Ils évoquent les nouvelles en s’étant promis d’éviter tout ce qui concerne l’épidémie, ce qui représente un exercice assez difficile. Heureusement, il reste les actualités astronomiques. —  Mars est à l’honneur, commente Marcus. Il faut dire que les créneaux sont rares pour l’atteindre. Trois expéditions en ce moment ! Chine, Émirats arabes unis et États-Unis. La sonde martienne chinoise Tianwen-1 a envoyé sa première photo, on n’en parle pas beaucoup mais un jour on s’apercevra qu’un drapeau a été planté par un homme sur la planète, et ce ne sera par un Américain ou un Russe… —  Pas par un Émirati ? —  J’y crois moins. C’est vrai que la sonde Hope des Émirats vient de se mettre en orbite pour observer le climat

Chroniques vingt-et-unièmes — Un monde idéal — 8 février 2021

  Un monde idéal Ludivine aide sa mère à plier des draps, et ce moment est parfois celui des confidences.  —  Tu ne me parles plus de Quentin ? interroge Émeline, un peu narquoise. —  Je n’en parle pas parce qu’il n’y a rien à en dire. —  Ce n’est plus ton copain ? —  Copain si, mais ce n’est pas mon petit copain, et lui le voudrait bien. Il m’a même invitée pour son anniversaire, pour ses vingt ans, avec toute sa famille. —  Il est pourtant gentil ce garçon… —  Gentil… Tu parles comme les vieux… Tu me vois déjà maquée à mon âge avec un mec ! —  Tu emploies de ces expressions… Tu as le temps ensuite de changer… — Ah c’est ça, tu voudrais que je fasse de l’itinérance sexuelle, comme de ton temps… Le moindre dialogue entre Ludivine et sa mère bute toujours sur une confrontation des temps, une opposition des époques. Les regards qui changent en permanence favorisent ces divergences, avec une tendance qui s’accélère. Ce n’est même plus entre parents et enfants qu’on le constate, c’est de d