Chroniques vingt-et-unièmes — Un problème de moins — 22 février 2021

 Un problème de moins


De son bureau, Xavier perçoit une bribe de conversation s’échappant du séjour entre Émeline et Ludivine. Sa fille évoque les affaires d’agressions sexuelles dans les IEP. Normal, c’est l’ordre du jour imposé par les médias en ce moment. Et comme toujours, Ludivine est très revendicative, elle demande des sanctions exemplaires.

Nul doute que le gouvernement va se saisir du sujet comme il vient de le faire à la suite des affaires d’inceste.

Si pour ces affaires d’IEP, il ne remet pas en cause les faits allégués, Xavier se demande dans quelles proportions ceux-ci se sont produits. S’agit-il de dérives à la marge ou d’un état d’esprit général ? Quelques cas ou une pratique généralisée pour les milliers, voire les dizaines de milliers d’élèves, qui se sont formés dans ces écoles ? Car les conclusions à en tirer peuvent être très différentes. Mais l’histoire ne le dit pas. C’est d’ailleurs pour lui l’un des reproches qu’il nourrit contre la presse. On relate des opinions, des événements, mais on ne précise jamais leur juste proportion par rapport à un ensemble. Pour illustrer une polémique, on fera par exemple intervenir le défenseur d’une position et celui de la position contraire. Par souci d’équité. Mais on mentionnera rarement le pourcentage représenté par les partisans de l’une et de l’autre. Ceci a pour conséquence d’égaliser les divergences, de leur donner le même poids. Les divergences sont utiles, il toutefois essentiel d’en apprécier l’importance.

Mais peu importe, un nouveau problème est posé. Qui va s’ajouter aux autres, irrésolus. En France, outre l’épidémie qui constitue l’affaire du moment, il faut déjà lutter contre la pauvreté, le mal-logement, les sans abri, les passoires thermiques, les marchands de sommeil, la fracture numérique, les discriminations, les ghettos, la précarité étudiante, énergétique, menstruelle, la précarité tout court, les incivilités, l’insécurité, les bandes, le trafic de drogue, les agressions de professeurs, l’échec scolaire, le harcèlement scolaire, le racket à l’école, le jeu du foulard, le proxénétisme, la prostitution en général, celle des mineurs en particulier, le blanchiment d’argent, la cybercriminalité, les cyber-attaques, les fake news, l’immigration clandestine, les passeurs, les violences policières, l’islamisme, les femmes battues, les violences sexuelles, la pédopornographie, l’inceste, le racisme, l’antisémitisme, le révisionnisme, le sexisme, le plafond de verre, l’homophobie, la transphobie, l’islamophobie, la grossophobie, la surconsommation de médicaments, le tabagisme, l’alcoolisme, le sida, le cancer, la recrudescence de la rougeole, les tuberculoses résistantes, l’obésité, l’autisme, les maladies orphelines, la toxicité des encres de tatouage, la dépendance, la désindustrialisation, le déficit de l’État, de la Sécurité sociale, des retraites, de l’assurance-chômage, le chômage lui-même, la désertification des campagnes, la fraude fiscale, les trafics d’influence, les conflits d’intérêt, les lobbies, l’abstention électorale, le dérèglement climatique, la sécheresse en été, les inondations, les risques de submersion marine, les émissions de CO2, les pluies acides, les plastiques, les pesticides, la disparition des abeilles, le moustique tigre, le frelon asiatique, la tortue de Floride, la pyrale du buis, les algues vertes, la maltraitance animale, les nanoparticules, les métaux lourds, l’amiante, les déchets nucléaires, les décharges sauvages, les accidents de chasse, la prolifération des sangliers…

Et pour être plus positif, développer l’égalité des chances et la justice sociale.

Les gouvernements qui se succèdent récupèrent tous ces problèmes au moment du passage de relai. Ils n’en sont pas désarçonnés pour autant. Ils considèrent que chacun d’entre eux est important et il serait maladroit, voire suicidaire, d’affirmer que certains sont moins cruciaux que d’autres. Faire un choix paraît impensable. Parce que sous la menace des groupes de pression de tous bords, on n’ose pas établir des priorités, de peur de se voir accuser de négligence, d’être la cible d’une commission d’enquête parlementaire, d’être attaqué devant la Cour de justice de la République.

Alors les gouvernements annoncent s’attaquer à tous les problèmes à la fois, et de ce fait ne s’attaquent à rien. Ils sont comme des pompiers encerclés par de multiples incendies et distribuant de leurs lances pointées dans toutes les directions quelques gouttes d’eau ici et là.

Devant l’ampleur de la tâche, rien n’avance, ou si peu. Et comment pourrait-il en être autrement ? Les difficultés s’accumulent. Au mieux, crée-t-on des commissions, des observatoires, des hautes autorités ; au mieux nomme-t-on des Monsieur ceci, des Madame cela ; au mieux rédige-t-on des livres blancs. Et puis, pour conclure, une vaste concertation, un Grenelle, un Beauvau ou un Ségur.

Xavier s’est interrompu devant sa table de travail. Cette énumération lui donne le vertige.

Soudain, le terme d’islamo-gauchisme jeté par une Ludivine exaspérée traverse la porte. Elle se lance dans une diatribe. Il n’interviendra pas dans la conversation mais pour lui, c’est une consolation. En employant ces mots, la secrétaire d’État Dominique Vidal a en effet provoqué la colère des présidents d’université, d’intellectuels et d’une partie de l’opposition. Selon les protestataires, c’est une illusion, un faux problème.

Donc, un problème de moins, le gouvernement n’aura pas à agir…

FIN


Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

22 février 2021 

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