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Chroniques vingt-et-unièmes — Peut-être qu’à cinquante… — 30 novembre 2020

  Peut-être qu’à cinquante… Par un très improbable concours de circonstances, le professeur Marcus et Ludivine partagent la même aversion pour le Black Friday, un sujet qui a monopolisé l’attention des médias ces derniers temps.  Le premier parce que son rejet de la technologie en fait, selon l’un de ses amis psychologues, un « piètre candidat à l’achat en ligne ». La seconde parce qu’elle n’y voit qu’une démonstration indécente du consumérisme qui dévore la planète. Car même si on continue à l’appeler le Black Friday, il ne sera pas noir pour tout le monde, dit-elle. Les grands distributeurs du Net se frottent les mains à l’avance. « Pink Friday » lui semblerait plus approprié…. Fallait-il l’annuler ou le maintenir ? Finalement, il sera décalé d’une semaine. Reculer pour mieux sauter… Xavier, lui, n’a pas vraiment d’avis. Il ne changera pas ses habitudes, refusant par principe de se laisser dicter sa conduite par tout mouvement de masse ou par une mode du moment. D’ailleurs, l’affaire

Chroniques vingt-et-unièmes — De tous les combats — 23 novembre 2020

De tous les combats Le couperet est tombé : 15 janvier, les bars et les restaurants ne rouvriront pas avant le 15 janvier. Ludivine et Quentin reviennent de la fac de Nanterre et n’en croient leurs oreilles. On veut donc les achever. La vie se réduirait ainsi à « métro, boulot, dodo ». C’est ce qu’a dit Ludivine mais Quentin n’aime pas cette expression, elle lui rappelle trop son grand-père, combattant de 68. Il ne manquerait plus qu’on entende « Il est interdire d’interdire » ! Pas de compromission de classe avec la génération qui leur a légué la planète dans cet état. La seule bonne nouvelle dans cette grisaille semble être la sortie prochaine d’un vaccin. Mais pas pour tout le monde et surtout pas pour eux. Ils refuseront de se faire vacciner comme 50% des Français. C’est un tempérament national. 60% ont reconnu aussi avoir fraudé avec l’attestation de sortie, c'est-à-dire d’avoir indiqué une cause inexacte. Et on ne compte plus les fêtes cachées, les salons de coiffures et les

Chroniques vingt-et-unièmes — Fureur et recueillement — 16 novembre 2020

Fureur et recueillement Dans son bureau de Jussieu, le professeur Marcus trie des papiers. Et s’en débarrasse. Des papiers, on en aura de moins en moins besoin, la priorité va au « distanciel ». Fini bientôt le « présentiel ». L’épidémie ne faiblit pas. Mais il rechigne, les Zoom , Skype , Join.me , GoToMeeting et autres logiciels de visioconférence lui donnent mal à la tête, ce n’est plus de son âge. Les jeunes, eux, sont nés avec un smartphone dans une main et un abonnement à Netflix dans la tête. On ne fera pas machine arrière. Modernité contre tradition ? C’est le genre de débat inutile qui agite chaque génération. Donc, ne pas débattre. Il allume un transistor antique. On y parle encore de Trump et de Biden. La campagne électorale américaine a connu son dénouement. Du moins le pense-t-on car la raison devrait l’emporter. Et c’est heureux. Car depuis des semaines les médias se sont mis à l’heure américaine, comme si les Français pouvaient influencer le vote de l’autre côté de l’oc

Chroniques vingt-et-unièmes — Novlangue par une nuit claire — 9 novembre 2020

Novlangue par une nuit claire Le reconfinement. On ne peut pas dire – c’est vraiment un euphémisme – qu’il suscite l’adhésion de tous. Pour certains, on n’est pas allé assez loin et on met en danger la vie de ceux qui vont travailler ou enseigner ; pour d’autres, c’est la destruction assurée de l’activité économique, dont la leur. Difficile « chemin de crête », selon l’expression du moment. Un fil de funambule. Il faut presque être acrobate pour se lancer dans la politique et gouverner. La crise sanitaire, les attentats sont sources d’insomnie. Xavier, anxieux en temps normal, n’y échappe pas. À 2 heures du matin, il s’est levé. Sa femme Émeline dort profondément. Il a jeté un regard par la fenêtre du salon. Sur la pelouse jonchée de feuilles, les arbres sous une lune pleine se dressent comme des spectres d’argent. Il repense à la conversation téléphonique de la veille au soir avec Sébastien, qui a remplacé, pandémie oblige, leur habituelle partie d’échecs. Il a parlé d’une « situation

Chroniques vingt-et-unièmes — Révolte antisystème, valeurs universelles — 2 novembre 2020

Révolte antisystème, valeurs universelles On a parlé bouquins ce soir au Liber Circulo . Normal pour un cercle littéraire. C’est juste avant le reconfinement et Louis officie. Pendant une heure, il a présenté Nymphéas noirs de Michel Bussi, un roman pas tout récent, qui a largement contribué à la notoriété de l’auteur. Une notoriété qui n’est pas déméritée avec un procédé de narration très original qui structure le récit. On aime. Toutes ces briques de lego qui s’arriment pour ne plus former qu’une histoire, qui sans cela passerait pour banale, c’est très surprenant. Avec en prime, sur fond d’impressionnisme, l’atmosphère de musée à ciel ouvert de Giverny. Mais Louis a insisté sur autre chose, sur le message éclatant que porte le livre : que derrière la silhouette courbée d’une personne âgée qui se confond dans la foule, qu’on ne remarque pas et qui observe – la « souris noire » invisible à tous –, peut se cacher une vie qui a été exaltante, éreintée par les passions d’une destinée pr

Chroniques vingt-et-unièmes — Demain, des jours meilleurs — 26 octobre 2020

Demain, des jours meilleurs Le jeu du chat et de la souris. Ludivine adore. L’enfance n’est pas si loin. La partie a commencé dès le vendredi soir. C’était couvre-feu à minuit. Avec Quentin, elle a participé à sa première « soirée pyjama » dans un appartement près de la place de la République. Inutile de préciser qu’à 6 heures du matin, la vingtaine de « résistants » étaient passablement éméchés. « Résistant », c’est le terme qu’emploie Quentin, toujours à la pointe des luttes. Nous sommes bien en couvre-feu, non ? proteste-il. Qui dit couvre-feu dit alors résistance. Il n’est pas allé jusqu’à parler d’ « Occupation » mais il a dû y penser. C’est curieux comme les mots s’associent dans cette étrange fantasmagorie. Le lendemain, l’exercice a recommencé, plus périlleux. Cette fois-ci, le couvre-feu était à 21 heures. Ils sont arrivés par Saint-Lazare en retard – peut-être d’ailleurs l’ont-ils fait exprès, par bravade – et ont continué à pied. Les flics étaient déployés sur le Magenta, il

Chroniques vingt-et-unièmes — L’apocalypse est toujours de ce monde — 19 octobre 2020

L’apocalypse est toujours de ce monde    Atmosphère lugubre dans la brasserie. Le professeur Marcus détaille les tables clairsemées. Au moins un mètre de distance réglementaire, les consignes sont respectées mais chacun se tait, l’ambiance n’y est pas. Et la pluie qui s’abat sur Paris depuis une semaine n’arrange rien. C’est la pause déjeuner dans le quartier de Jussieu. En face de lui, pour insuffler un peu de gaîté, Louis, son collègue qui enseigne les mathématiques, se met à chantonner « Voici le temps venu des catastrophes » en parodiant la mélodie bien connue de Notre-Dame-de-Paris . Il est vrai que les ennuis et les contraintes arrivent en cascade et certains dénoncent une société « liberticide ». Dupont-Aignan a même fait référence – erreur ou volonté délibérée – à une citation d’Orwell dans 1984 , en réalité une fausse citation qui prouve à quel point on est au cœur du sujet : Orwell y met en évidence la désinformation. Depuis une heure, les deux universitaires déroulent l’actu

Chroniques vingt-et-unièmes — Sacrifice, blasphème et matière noire — 12 octobre 2020

Sacrifice, blasphème et matière noire     Le professeur Marcus remonte la rue Linné, chapeau noir en feutrine bien vissé sur sa tête pour le protéger de la pluie qui crépite, et écharpe rouge jouant avec le vent. Il rejoint Jussieu pour le cours d’astronomie qu’il va donner en master. Il est d’humeur mauvaise, plus qu’à l’ordinaire. Il sait qu’il porte un combat perdu d’avance contre les conversations frivoles (de son point de vue), et les bribes de discussion qu’il a eues avec son fils Thomas au petit-déjeuner l’ont mis hors de lui. Il sait pourtant qu’il est très mauvais pour lui de commencer la journée par ces échanges stériles. Il a répété qu’il existe quand même dans le monde des sujets plus importants que la sortie triomphale de Donald Trump de l’hôpital visionnée en boucle sur les chaînes d’information ; ou ce qui vient d’enflammer les réseaux sociaux : le supposé blasphème de la chanteuse Rihanna lors d’un défilé de lingerie pendant lequel elle aurait repris en accéléré des par