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Chroniques vingt-et-unièmes — Révolte antisystème, valeurs universelles — 2 novembre 2020

Révolte antisystème, valeurs universelles On a parlé bouquins ce soir au Liber Circulo . Normal pour un cercle littéraire. C’est juste avant le reconfinement et Louis officie. Pendant une heure, il a présenté Nymphéas noirs de Michel Bussi, un roman pas tout récent, qui a largement contribué à la notoriété de l’auteur. Une notoriété qui n’est pas déméritée avec un procédé de narration très original qui structure le récit. On aime. Toutes ces briques de lego qui s’arriment pour ne plus former qu’une histoire, qui sans cela passerait pour banale, c’est très surprenant. Avec en prime, sur fond d’impressionnisme, l’atmosphère de musée à ciel ouvert de Giverny. Mais Louis a insisté sur autre chose, sur le message éclatant que porte le livre : que derrière la silhouette courbée d’une personne âgée qui se confond dans la foule, qu’on ne remarque pas et qui observe – la « souris noire » invisible à tous –, peut se cacher une vie qui a été exaltante, éreintée par les passions d’une destinée pr

Chroniques vingt-et-unièmes — Demain, des jours meilleurs — 26 octobre 2020

Demain, des jours meilleurs Le jeu du chat et de la souris. Ludivine adore. L’enfance n’est pas si loin. La partie a commencé dès le vendredi soir. C’était couvre-feu à minuit. Avec Quentin, elle a participé à sa première « soirée pyjama » dans un appartement près de la place de la République. Inutile de préciser qu’à 6 heures du matin, la vingtaine de « résistants » étaient passablement éméchés. « Résistant », c’est le terme qu’emploie Quentin, toujours à la pointe des luttes. Nous sommes bien en couvre-feu, non ? proteste-il. Qui dit couvre-feu dit alors résistance. Il n’est pas allé jusqu’à parler d’ « Occupation » mais il a dû y penser. C’est curieux comme les mots s’associent dans cette étrange fantasmagorie. Le lendemain, l’exercice a recommencé, plus périlleux. Cette fois-ci, le couvre-feu était à 21 heures. Ils sont arrivés par Saint-Lazare en retard – peut-être d’ailleurs l’ont-ils fait exprès, par bravade – et ont continué à pied. Les flics étaient déployés sur le Magenta, il

Chroniques vingt-et-unièmes — L’apocalypse est toujours de ce monde — 19 octobre 2020

L’apocalypse est toujours de ce monde    Atmosphère lugubre dans la brasserie. Le professeur Marcus détaille les tables clairsemées. Au moins un mètre de distance réglementaire, les consignes sont respectées mais chacun se tait, l’ambiance n’y est pas. Et la pluie qui s’abat sur Paris depuis une semaine n’arrange rien. C’est la pause déjeuner dans le quartier de Jussieu. En face de lui, pour insuffler un peu de gaîté, Louis, son collègue qui enseigne les mathématiques, se met à chantonner « Voici le temps venu des catastrophes » en parodiant la mélodie bien connue de Notre-Dame-de-Paris . Il est vrai que les ennuis et les contraintes arrivent en cascade et certains dénoncent une société « liberticide ». Dupont-Aignan a même fait référence – erreur ou volonté délibérée – à une citation d’Orwell dans 1984 , en réalité une fausse citation qui prouve à quel point on est au cœur du sujet : Orwell y met en évidence la désinformation. Depuis une heure, les deux universitaires déroulent l’actu

Chroniques vingt-et-unièmes — Sacrifice, blasphème et matière noire — 12 octobre 2020

Sacrifice, blasphème et matière noire     Le professeur Marcus remonte la rue Linné, chapeau noir en feutrine bien vissé sur sa tête pour le protéger de la pluie qui crépite, et écharpe rouge jouant avec le vent. Il rejoint Jussieu pour le cours d’astronomie qu’il va donner en master. Il est d’humeur mauvaise, plus qu’à l’ordinaire. Il sait qu’il porte un combat perdu d’avance contre les conversations frivoles (de son point de vue), et les bribes de discussion qu’il a eues avec son fils Thomas au petit-déjeuner l’ont mis hors de lui. Il sait pourtant qu’il est très mauvais pour lui de commencer la journée par ces échanges stériles. Il a répété qu’il existe quand même dans le monde des sujets plus importants que la sortie triomphale de Donald Trump de l’hôpital visionnée en boucle sur les chaînes d’information ; ou ce qui vient d’enflammer les réseaux sociaux : le supposé blasphème de la chanteuse Rihanna lors d’un défilé de lingerie pendant lequel elle aurait repris en accéléré des par

Chroniques vingt-et-unièmes — Retour au Club — 5 octobre 2020

Retour au Club   C’est la rentrée. La rentrée du club, c'est-à-dire la première séance depuis le mois de juin. Il fallait s’y résoudre, sauf à ne plus jamais oser se rencontrer, à toujours chercher une excuse pour rester dans son entre-soi, à devenir l’ombre d’un souvenir vis-à-vis des autres. Mais chacun porte son masque, on se résigne, et il reste les yeux où se lit l’envie de découvrir un nouveau versant de la littérature. Le cercle littéraire a été créé il y a trois ans par le professeur Marcus. Ce Marcus, c’est un personnage. Son éternel chapeau de feutrine noire et son écharpe rouge qui l’accompagne font surgir en permanence, flottant comme des spectres, l’image de François Mitterrand et celle plus lointaine d’Aristide Bruant. Liber Circulo , le « club du livre », il a choisi ce nom en tant que fondateur. « Il ne s’est pas foulé », s’est permis de critiquer Ludivine, toujours incisive et fière de ses dernières notions de latin qui lui restent du lycée. En français, le « club

Chroniques vingt-et-unièmes — Un redressement permanent — 28 septembre 2020

Un redressement permanent —  Encore des nouvelles mesures, soupire Sébastien, on ne s’en sortira jamais de ce fichu virus ! —  On s’en sortira. Avec les milliards qui ont été mis sur la table pour trouver un vaccin, c’est certain. La question est de savoir quand. Xavier connaît le pessimisme immémorial de Sébastien dont rien ne le rassure jamais vraiment. Tout en repliant la desserte qui vient d’accueillir leur dernière partie d’échecs, il continue : —  Le problème, bien sûr, c’est l’économie. Sans elle, pas de production, pas de cotisations, pas de protection sociale… Il faut que le plan de redressement fonctionne. Le mot « redressement » éveille un écho silencieux dans l’esprit de Sébastien. Il réplique : —  Redresser le pays… Ça me fait penser à un vieux film qui est passé récemment à la télé. Le Président, tu dois connaître… —  Avec Jean Gabin ? —  Tout juste. Le film est sorti en 1961 et on suppose que l’action se situe un peu avant, avec un mode de gouvernement qui rappelle forte

Chroniques vingt-et-unièmes — Une époque révolue — 21 septembre 2020

Une époque révolue —  Tu reprendras un peu de ce vieux marc de mirabelles ? demande Xavier. —  Ce sera suffisant pour ce soir, répond Sébastien en avançant son fou. Un mardi soir comme les autres. Xavier et Sébastien sont réunis pour leur traditionnelle partie d’échecs dans le salon d’une ancienne maison de maître à l’ouest de Paris. La demeure aurait appartenu à l’un des voisins d’Ivan Tourgueniev et de Pauline Viardot et aurait abrité l’amitié amoureuse, du moins les conversations complices, des deux artistes. C’est ce qu’a assuré l’agent immobilier à Xavier lorsqu’il a acheté la propriété dix ans auparavant. Pensif, réfléchissant à l'improbable et superbe coup qui s’offre à lui, Xavier observe à la dérobée l’ampoule du plafonnier qui clignote et dit :  —  Elle va lâcher, rien ne vaut les bonnes lampes à huile, il doit sûrement m’en rester au grenier… —  Tu penses aux lampes à huile de Macron ? interroge Sébastien. —  Oui, aux lampes à huile et aux amish, il a voulu frapper les e

Chroniques vingt-et-unièmes — Un matin amer — 14 septembre 2020

Un matin amer Ludivine a le sourire aux lèvres. En ce matin du samedi 12 septembre, elle sent une onde de renouveau qui parcourt les rues de Paris : après des mois de quasi-sommeil, les gilets jaunes essaient de se faufiler au travers de la chape sanitaire qui s’est abattue sur la France ces derniers mois. Une chape contestée par certains d’entre eux, des « anti-masques » qui ont fait spécialement le déplacement pour dénoncer un État jugé « totalitaire ». Elle ne partage pas forcément leurs convictions mais elle est heureuse qu’ils soient venus pour gonfler les cortèges. Le pavé semble souple sous ses pas, le soleil incisif illumine les murs pâles et embrase les vitrines, alors que la masse sombre des cars de CRS commence à obscurcir les avenues. Déjà, quelques pancartes où il n’est question que de  démocratie , de  peuple  et de  liberté , comme si l’histoire était à réinventer, comme si elle faisait un singulier retour sur elle-même. Ces mots entrent en résonance avec sa jeunesse ins