Chroniques vingt-et-unièmes — Un redressement permanent — 28 septembre 2020

Un redressement permanent


—  Encore des nouvelles mesures, soupire Sébastien, on ne s’en sortira jamais de ce fichu virus !

—  On s’en sortira. Avec les milliards qui ont été mis sur la table pour trouver un vaccin, c’est certain. La question est de savoir quand.

Xavier connaît le pessimisme immémorial de Sébastien dont rien ne le rassure jamais vraiment. Tout en repliant la desserte qui vient d’accueillir leur dernière partie d’échecs, il continue :

—  Le problème, bien sûr, c’est l’économie. Sans elle, pas de production, pas de cotisations, pas de protection sociale… Il faut que le plan de redressement fonctionne.

Le mot « redressement » éveille un écho silencieux dans l’esprit de Sébastien. Il réplique :

—  Redresser le pays… Ça me fait penser à un vieux film qui est passé récemment à la télé. Le Président, tu dois connaître…

—  Avec Jean Gabin ?

—  Tout juste. Le film est sorti en 1961 et on suppose que l’action se situe un peu avant, avec un mode de gouvernement qui rappelle fortement la Quatrième République. Le candidat du moment à la présidence du Conseil veut « redresser le pays » qui apparemment en a bien besoin. Mais il y a un retour arrière dans le film, environ une vingtaine d’années auparavant. On observe que le président du Conseil en titre de l’époque, alias Jean Gabin, est déjà en train de faire la même chose. Manifestement, ses efforts ont été vains puisqu’il faut recommencer.

—  Oui, oui, c’est une fiction…

Le cinéma est l’une des passions de Sébastien, il surprend toujours son auditoire par la profusion des détails qu’il donne. Mais pour lui, le cinéma apporte aussi un éclairage instructif sur les préoccupations de la période où sont tournés les films. Il explique :

—  Une fiction, bien sûr, mais qui s’inspire fortement de la réalité. D’ailleurs les commentateurs ont vu le personnage de Georges Clémenceau dans ce « Président ». Et si tu te penches un peu sur la réalité, c'est-à-dire sur notre histoire contemporaine – sans même remonter aux périodes d’après 1870, 1918 et 1945 où il fallait de toute urgence sortir la France de l’ornière –, c’est assez parlant.

» Quand de Gaulle est arrivé au pouvoir en 1958, on attendait de lui qu’il redresse le pays bien endommagé après tous les troubles qu’il venait de connaître. Giscard avait sans doute cette idée en tête quand il a été élu président en 1974. Mitterrand ne s’en est pas caché en 1981. Il fallait aussi pour lui redresser le pays mais dans une autre direction, en faisant « appel aux forces vives de la Nation ». Pour Chirac et Balladur en 1988 et 1993, après les deux parenthèses socialistes, le redressement du pays était encore impératif. C’était la même chanson quand Chirac a été lu président en 1995 et avec l’arrivée de Jospin en 1997. Et toujours ce refrain en 2002 après le 21 avril. Avant son élection en 2007, Sarkozy a construit son programme sur le thème du redressement et Hollande en 2012 n’a pas échappé à la règle. Pour fonder son mouvement, Macron a utilisé les mêmes arguments avec comme originalité de s’adresser à des personnalités de gauche et de droite.

» Et après tout ce temps, tous ces programmes vigoureux de redressement depuis les années 60, Jean Castex dans son plan « France Relance » s’est donné comme but de redresser la France.

Xavier réfléchit tout en regardant sa montre : 1 heure du matin. Il a envie de conclure sans s’embarquer dans de longs développements qui avec Sébastien peuvent durer toute la nuit :

—  Je ne vois que deux explications possibles à ce que tu viens de dire : soit la France est dans un très mauvais état permanent, ce que je ne crois car il y a bien pire ailleurs si on constate ce qui se passe dans d’autres pays ; soit elle n’a pas vraiment besoin de redressement et nos discours de politiques ne sont que des arguments électoraux qui ne trouvent aucune signification dans le monde réel. Mais je ne jetterai pourtant pas la pierre sur le monde politique. Il y a effectivement ceux qui font franchement des promesses intenables mais il y a aussi ceux qui font des promesses tenables qu’ils ne peuvent mettre en œuvre à cause de l’opposition des électeurs qui n’ont pas voté pour eux. Ce n’est pas vraiment ma définition de la démocratie…

—  Ne parlons pas de la démocratie, la nuit ne sera pas assez longue pour ça !

FIN


Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

28 septembre 2020

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