Gauthier Dambreville

  À bien réfléchir… —  Et si on essayait le club de lecture silencieux ? Les sept membres du Liber Circulo , le club de lecture créé par le professeur Marcus, sont présents. À ces mots, ce dernier se retourne. C’est Kevin, l'enseignant en littérature, qui vient de faire cette proposition. —  Un club de lecture silencieux ? Mais ça n’a pas de sens ! —  Ah oui, j’en ai entendu parler, commente Ludivine. Kevin s’explique : —  C’est un phénomène qui se répand dans le monde entier. Le club de lecture traditionnel a pour vocation de se rassembler afin de débattre et d'échanger autour d’un ouvrage que chacun a lu. Là, avec le club silencieux, ce n’est pas le même but. Il n’y a pas de livre imposé, chacun arrive avec le sien et le lit en silence au milieu des autres… —  Autant le lire tout seul bien à l’aise dans son plumard ! réagit Elsa. —  Complètement d’accord, fait Marcus. Kevin esquisse un sourire : —  Bien sûr, mais dans notre société hyper-connect...

  Une autre guerre Un banc dans le jardin des Tuileries. Benoît fixe son smartphone. Les dernières nouvelles du front, ou des fronts qui s’ouvrent ici et là. La guerre n’est plus seulement racontée dans les livres d’histoire du lycée. Elle s’insinue dans la vie de tous les jours par les chaînes d’information, les débats et les manifestations qui s’installent dans les rues. Ukraine, Gaza, et maintenant la guerre Israël/Iran. Serait-ce de nature à augmenter l’angoisse proverbiale des Français, et en particulier la détresse psychologique des jeunes, dont on réclame pour la combattre des moyens supplémentaires après le meurtre de la surveillante à Nogent ? Et verra-t-on la fumée blanche du conclave des retraites ? Benoît est pensif. Il suit les événements jour après jour, et parfois heure par heure. Il est pris de lassitude et son esprit a envie de s’échapper de cette petite boule bleue dans l’espace, si fragile et si violente, pour embrasser l’Univers tout entier dans son étonnante co...

  Des contingences —  Excuse-moi, mais je n’ai pas beaucoup de temps… Louis s’apprêtait à donner son cours sur la matière noire à Jussieu quand Marcus est entré dans son bureau, un livre à la main. —  C’est mon fils Thomas qui m’a prêté cet ouvrage, Seuls dans l’Univers , rétorque Marcus, ne faisant pas attention à la remarque de son collègue et ami, et tu devrais le lire… —  C’est de Bibring ? —  Oui, Jean-Pierre Bibring, il enseigne comme nous l’astrophysique, mais à Paris-Sud. Je l’ai croisé plusieurs fois. Il a été le coordinateur scientifique de la sonde Philae qui s’est posée sur la comète Tchouri en 2014. Tu penses qu’il existe des vies extraterrestres ? —  Ce n’est pas vraiment le moment pour en discuter… et il me semble qu’on en a déjà parlé… Oui, je pense qu’il existe des vies extraterrestres. Compte tenu des milliards de galaxies et des milliards de systèmes dans chaque galaxie… —  Et voilà, tu raisonnes comme tout un chacun. Tu songes forcé...

  Un réseau très sociable —  « Que l'État n'aille pas faire les poches des Français au moment où c'est difficile », c’est ce qu’a demandé le député Vincent Jeanbrun. À qui va-t-on faire les poches, alors ? Aux Allemands ? Aux Italiens ? Aux Anglais ? Et pourquoi pas aux Russes ? Ce serait de bonne guerre… Ils ont tous les quatre attablés dans un restaurant d’Enghien, près du casino, à quelque distance du lac. On fête entre amis les trente ans de mariage de Sébastien et Romane. Entre amis de longue date, avec Émeline et Xavier. C’est ce dernier qui vient de s'exprimer après avoir dégusté l’entrée, une mousse d’asperge au saumon. Son ton est proche de l’exaspération. Romane rétorque doucement : —  C’est simplement une façon de parler, pour montrer combien les temps sont durs… —  Oui, les temps sont durs… J’ai entendu mes parents dire ça toute leur vie… —  Allons, ne commencez pas tous les deux, s’interpose Émeline. Il y a peut-être l’influence des réseaux sociaux....

  Accorder du temps à l’instant —  Tu as vu ça : six titres-restaurants sur dix sont maintenant utilisés en dehors des restaurants, c'est-à-dire dans les supermarchés ou les boulangeries.  —  Avec la vie chère… —  Oui, mais c’est un détournement, les restaurateurs ont raison de râler ! —  Qui ne râle pas de nos jours… —  D’accord, mais en fait, les titres-restaurants sont devenus des tickets d’alimentation, ce qui nous ramène au temps de l’Occupation. Est-ce pour nous préparer à une nouvelle occupation ? Comme d’habitude, Xavier pousse loin l’argumentation pour faire réagir son ami Sébastien qui pour l’instant s’oppose mollement. —  Restaurateurs, agriculteurs, taxis…, continue Xavier, ce n’est plus l’automne qui est chaud, mais le printemps. Et je ne te dis pas ce qui va se passer quand le conclave sur les retraites aura rendu ses conclusions. Car il n’y aura pas de solution magique. Du sang, de la sueur et des larmes, comme l'annonçait Churchill...

  Une autre grâce Thomas déambule parmi les bouquinistes du quai de la Tournelle au quai Voltaire. Mais il est absent, ses pensées déambulent aussi, suivant un autre chemin. En cause peut-être, des images pieuses qu’il vient d’apercevoir. Le conclave pour la désignation d’un nouveau pape n’a duré que vingt-quatre heures. Vingt-quatre heures, seulement, pour voir apparaître la fumée blanche après, semble-t-il, un large consensus ! Un conclave bien plus efficace que celui (appellation prémonitoire ?) sur les retraites organisé en France, qui rendra, peut-être, ses premières conclusions avant l’été.  Lors de ses premières déclarations, Léon XIV a montré la couleur. Il s’est prononcé contre tous les conflits qui déchirent la planète, et a même proposé de faire se rencontrer tous les ennemis en sa présence. Et dans sa messe d’inauguration place Saint-Pierre, il a dénoncé une économie qui marginalise les pauvres. Pas de doute, il fait bien le job. Mais pour Thomas, le plus intéressa...

  La tête haute —  C’est ma tournée, déclare Thomas, je fête mes trente ans aujourd’hui ! Magali, Thomas, Alexandre, Nassim, les quatre anciens du lycée sont à nouveau réunis dans le café de Saint-Germain. Ils se retrouvent en ce jour d’anniversaire de Thomas, ce qui n’est que le fait du hasard puisqu’ils ont décidé de se rencontrer deux à trois fois par an pour ne pas laisser le temps – assassin selon le chanteur Renaud – creuser encore entre eux un espace de dix ans. Après le toast, Alexandre a interpellé Magali la magistrate sur la société « orange mécanique » que l’on évoque beaucoup en ce moment (refus d’obtempérer, rodéos urbains, dégradations après les matchs de foot…), et bien sûr la réforme des prisons lancée par Gérald Darmanin. —  On va dédier des établissements ultra-sécurisés aux détenus les plus dangereux, on va construire rapidement des prisons en préfabriqué pour les moins dangereux et pour les mineurs, répond-elle. En fait, on revient au système des priso...

  La citadelle assiégée Jean-Bernard fait les cent pas dans son salon dans l’attente du retour d’Élise partie déambuler dans le vide-greniers qui se tient en ce moment au centre-ville. Il a passé le temps à scroller sur son smartphone sur un genre précis d’informations, les supposées défaillances de l’État français, et il marque une pause. On sait que celui-ci s’est transformé en un gigantesque guichet puisque la dépense publique représente près de 60 % du PIB, mais ce n’est pas suffisant pour susciter la gratitude. On lui en veut à l’État, et pour de multiples raisons. Jean-Bernard pense à une citadelle assiégée. Car les exemples ne manquent pas. Ainsi, en mars dernier, l’État a été condamné par le tribunal administratif de Grenoble pour « carence fautive », n’ayant pas déployé les moyens nécessaires permettant d’assurer l’hébergement des sans-abri dans la ville. En prime, il doit également rembourser les frais d’hôtel d’une famille que la municipalité a réglés durant deux ans afi...