Chroniques vingt-et-unièmes — Une autre grâce — 19 mai 2025

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 Une autre grâce


Thomas déambule parmi les bouquinistes du quai de la Tournelle au quai Voltaire. Mais il est absent, ses pensées déambulent aussi, suivant un autre chemin.

En cause peut-être, des images pieuses qu’il vient d’apercevoir. Le conclave pour la désignation d’un nouveau pape n’a duré que vingt-quatre heures. Vingt-quatre heures, seulement, pour voir apparaître la fumée blanche après, semble-t-il, un large consensus ! Un conclave bien plus efficace que celui (appellation prémonitoire ?) sur les retraites organisé en France, qui rendra, peut-être, ses premières conclusions avant l’été. 

Lors de ses premières déclarations, Léon XIV a montré la couleur. Il s’est prononcé contre tous les conflits qui déchirent la planète, et a même proposé de faire se rencontrer tous les ennemis en sa présence. Et dans sa messe d’inauguration place Saint-Pierre, il a dénoncé une économie qui marginalise les pauvres. Pas de doute, il fait bien le job. Mais pour Thomas, le plus intéressant est sa filiation, c'est-à-dire son choix du nom de Léon XIV. Selon la tradition, il se met dans les pas de Léon XIII qui fut pape de 1878 à 1903 – un long règne, donc. Ses faits marquants sont notamment l’ouverture des archives du Vatican pour les chercheurs et une refonte de l’Index pour le simplifier et l’adoucir. On lui prête un « catholicisme social », critiquant le libéralisme et les « ploutocrates » qui exploitent les prolétaires, ainsi que l’esclavage et la traite humaine, mais il condamne aussi le marxisme. Sans surprise, il se prononce de même contre le divorce et l’avortement, et il s’oppose fermement à la franc-maçonnerie avec une encyclique qui lui est spécialement consacrée.

Thomas réfléchit. Reste à savoir à quelles sources va puiser le nouveau pape pour ses actions. Par ses racines, il pourrait être rassembleur. Il est né américain mais a été naturalisé péruvien. Il a une mère d’origine métisse et un père italo-français. Et il a été missionnaire puis évêque au Pérou pendant une longue période. Cependant, sera-t-il entendu ? Même pape, il demeure un Occidental, quasiment un Européen, bien que d’ascendance africaine par sa mère. Et quelle parole un Européen peut-il porter ? Quelle est sa crédibilité ? Le Pérou, justement… Un passé effrayant. Pour illustrer comment les Européens pouvaient se comporter, Thomas songe à Francisco Pizarro. Avec 200 hommes, des chevaux et des canons, le conquistador réussit dans les années 1532-1533 à renverser l’Empire inca qui compte alors 9 millions d’habitants et occupe une partie des territoires actuels de la Colombie, de l’Équateur, du Pérou, de la Bolivie, de l’Argentine et du Chili. Il capture le souverain de cet empire, Atahualpa, et réclame une rançon astronomique en or et en argent, peut-être la plus importante de l’histoire, pour le libérer. Mais une fois qu’il reçoit ce qu’il a demandé, il change d’avis et décide d’exécuter Atahualpa. Se faisant toutefois magnanime : en bon chrétien, pour épargner à Atahualpa une mort trop horrible, car à l’époque on ne sait pas faire mourir sans faire souffrir – après tout on ne meurt qu’une fois –, il lui promet la strangulation à condition qu’il se baptise. Ce que va faire Atahualpa. Et là, au moins, Pizarro va tenir parole. 

Il n’est pas certain que ce passé, au Pérou, et ailleurs partout dans le monde où des faits semblables ont eu lieu, ait été oublié par ceux qui l’ont subi.

Je diverge, se dit Thomas. La pensée est ravageuse, elle établit des liens sans qu’on le veuille.

Mon défaut d’historien. Mais revenons à Léon XIV. 

Il s’est dit « fils d’Augustin », lequel a tant écrit sur la grâce, essentielle selon lui pour restaurer la relation entre l’homme et Dieu.

Ukraine, Gaza, Congo, Soudan, Birmanie, Inde, Pakistan… On aurait besoin aujourd’hui d’une autre grâce. Une grâce moins divine, celle de restaurer la relation entre les hommes.

Mais je diverge encore.



FIN


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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

19 mai 2025

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