Chroniques vingt-et-unièmes — La citadelle assiégée — 5 mai 2025


 La citadelle assiégée


Jean-Bernard fait les cent pas dans son salon dans l’attente du retour d’Élise partie déambuler dans le vide-greniers qui se tient en ce moment au centre-ville. Il a passé le temps à scroller sur son smartphone sur un genre précis d’informations, les supposées défaillances de l’État français, et il marque une pause. On sait que celui-ci s’est transformé en un gigantesque guichet puisque la dépense publique représente près de 60 % du PIB, mais ce n’est pas suffisant pour susciter la gratitude. On lui en veut à l’État, et pour de multiples raisons. Jean-Bernard pense à une citadelle assiégée.

Car les exemples ne manquent pas.

Ainsi, en mars dernier, l’État a été condamné par le tribunal administratif de Grenoble pour « carence fautive », n’ayant pas déployé les moyens nécessaires permettant d’assurer l’hébergement des sans-abri dans la ville. En prime, il doit également rembourser les frais d’hôtel d’une famille que la municipalité a réglés durant deux ans afin de la loger. Pour cette action, Grenoble s’était engagée aux côtés des villes de Strasbourg, de Lyon et de Bordeaux – toutes gérées par des écologistes – et celles-ci ont toutes les chances d’obtenir un jugement identique pour leur propre situation – jurisprudence oblige.

Ce même mois, et dans un domaine totalement différent, la cour d’appel administrative de Paris a condamné l’État à réparer un préjudice moral d’anxiété concernant les habitants durablement exposés au chlordécone dans les îles de la Martinique et de la Guadeloupe. Il aurait en effet manqué de « diligence pour évaluer la pollution liée à cet usage, y mettre fin, en mesurer les conséquences et informer la population touchée. »

En avril, c’est une plainte pour « harcèlement moral, violences mortelles, homicide involontaire, et mise en péril de la personne » qui est déposée devant la Cour de Justice de la République contre les ministres Catherine Vautrin, Yannick Neuder et Élisabeth Borne, ceci à la suite de suicides constatés dans les hôpitaux publics.

Plus récemment, une femme a assigné l’État en justice pour avoir été « privée de la possibilité d’assister au procès » de son ex-compagnon jugé pour viol et violences sur conjoint devant la cour d’assises de Limoges. En effet, la lettre l’informant de ce procès a été expédiée à une mauvaise adresse – celle qu’elle a dû quitter, précisément, pour échapper à son conjoint –, et elle a découvert son déroulement dans la presse.

Sur le même thème, près de Lille, c’est un homme qui attaque l’État en justice, sa sœur ayant été tuée, là cette fois, par l’ex-compagnon de celle-ci, alors qu’elle avait déjà déposé trois mains courantes et une plainte pour violences conjugales.

Et ce n’est pas fini : dans la Sarthe, le propriétaire d’une maison, aux côtés de dix autres personnes également concernées, attaque l’État en justice, la construction se fissurant en raison du réchauffement climatique. Comme son assurance a refusé de l’indemniser en l’absence d’un arrêté de catastrophe naturelle, il déplore un manque de prise en charge de l’État.

Par ailleurs, une commission d’enquête parlementaire sur les politiques publiques de protection de l’enfance conclut à une carence de l’État, celui-ci étant supposé « laisser la situation de dégrader ». Elle demande pour y remédier une augmentation des moyens humains et financiers. En parallèle, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a reçu une plainte contre la France de la part de l’avocate Sara Després pour « de nombreuses violations graves et récurrentes des droits des mineurs confiés auprès de l'aide sociale à l'enfance ».

Et une ex-professeure de sport du lycée Bayen de Châlons-en-Champagne s’apprête à déposer plainte contre l’État, estimant avoir été harcelée par sa hiérarchie après avoir dénoncé un violeur présumé dans le même établissement.

Etc.

Toutes ces initiatives en disent long sur la représentation que l’on se fait de l’État français. Il semble qu’il soit perçu comme une sorte d’entité ectoplasmique planant au-dessus de nos têtes, un État constamment critiqué, mais duquel on attend tout. C’est du moins la conclusion à laquelle parvient Jean-Bernard après ces lectures.

Et l’État, c’est nous, c’est l’ensemble des citoyens…, pense-t-il encore.

La porte d’entrée s’ouvre dans une grande bouffée de chaleur sous la pression d’Élise. On bat en ce moment des records de température pour un mois de mai.

—  Il y avait des choses intéressantes à ce vide-greniers, dit-elle, mais c’était tout de même dangereux…

—  Dangereux ?

—  Oui, aucune protection… N’importe qui pourrait lancer une voiture ou une fourgonnette dans la foule comme on le voit à la télé… L’État devrait faire quelque chose !

—  Laissons l’État en dehors de tout ça, répond Jean-Bernard à sa femme stupéfaite.

Ça nous fera tous du bien...



FIN


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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

5 mai 2025

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