Chroniques vingt-et-unièmes — Un réseau très sociable — 2 juin 2025

 Un réseau très sociable

—  « Que l'État n'aille pas faire les poches des Français au moment où c'est difficile », c’est ce qu’a demandé le député Vincent Jeanbrun. À qui va-t-on faire les poches, alors ? Aux Allemands ? Aux Italiens ? Aux Anglais ? Et pourquoi pas aux Russes ? Ce serait de bonne guerre…

Ils ont tous les quatre attablés dans un restaurant d’Enghien, près du casino, à quelque distance du lac. On fête entre amis les trente ans de mariage de Sébastien et Romane. Entre amis de longue date, avec Émeline et Xavier. C’est ce dernier qui vient de s'exprimer après avoir dégusté l’entrée, une mousse d’asperge au saumon. Son ton est proche de l’exaspération. Romane rétorque doucement :

—  C’est simplement une façon de parler, pour montrer combien les temps sont durs…

—  Oui, les temps sont durs… J’ai entendu mes parents dire ça toute leur vie…

—  Allons, ne commencez pas tous les deux, s’interpose Émeline. Il y a peut-être l’influence des réseaux sociaux. Ceux qui pensent que les temps sont durs ne lisent que les posts qui vont dans ce sens. Et vice-versa pour ceux qui pensent le contraire. C’est le principe des biais cognitifs.

Un peu mélancolique, Sébastien lève son verre :

—  Comme Sylvain Tesson, j'estime qu’on n’a pas rendu le monde meilleur en connectant huit milliards d’humains entre eux. Et je préfère, selon son expression, les « réseaux asociaux ».

—  Réseaux asociaux ? sourit Émeline.

—  Oui, par exemple, une balade dans l’intimité de la forêt, à écouter le murmure des arbres en plein dialogue. Là-bas, les chouettes, les sangliers et les cerfs sont mes amis. Ou bien un coucher de soleil à Mykonos, dans l’ombre des moulins, au moment où l’astre suprême épouse l’horizon dans un fou rougeoiement sur une immensité d’émeraude…

—  Mais tu deviens poète ! s’exclame Xavier.

—  Non, pas poète, mais j’essaie de me contenter des choses simples.

Romane commente, rêveuse :

—  Des choses simples… Ici, en France, nous avons la chance de pouvoir nous contenter de choses simples…

—  Ce qui est rarement le cas ailleurs… l’interrompt Xavier.

—  Mais à Gaza ou en Ukraine, c’est la guerre, continue Romane, ignorant la remarque. Quand je pense que Poutine parle toujours d’une opération militaire spéciale !

Xavier repose ses couverts :

—  Sans vouloir prendre la défense de Poutine, il me semble que pour la guerre d’Algérie, on parlait initialement chez nous d’une « opération de police », et ensuite d’« événements d’Algérie », mais surtout pas de guerre. Et même avant, quand on réprimait une révolte dans les colonies, on utilisait le terme de « pacification ». En fait, on a l’impression que le mot « guerre » fait peur à celui qui la déclenche.

—  J’aimerais qu’on discute un peu « foot », intervient Émeline pour, encore une fois, détendre l’atmosphère. Vous n’avez pas apprécié la victoire du Paris Saint-Germain à Munich ?

—  Si, bien sûr, répond Xavier. On va devoir les appeler maintenant les « Munichois ».

—  Je préférerais un autre nom, soupire Roxane.

—  Dommage quand même toutes ces violences : des pillages, des incendies, deux morts, 192 blessés, des centaines d’interpellations… Violence quand on perd, violence quand on gagne, on devrait essayer le match nul…

Sébastien hoche la tête en regardant son ami :

—  Tu en demandes beaucoup. La plupart des casseurs ne se rendent pas compte de leurs actes. D’ailleurs, ils sont souvent mineurs.

—  Ah bon ? Alors, c’est pour ça qu’une trentaine de maires ont proposé dans une tribune d’abaisser le droit de vote à seize ans ? Remarque, ce serait une manière d’augmenter dans l’absolu le nombre de votants dans cette tranche d’âge puisqu’aujourd’hui ce sont les moins de trente ans qui s’abstiennent le plus.

—  Et si on buvait aux trente ans de mariage ? les reprend à nouveau Émeline. À défaut de réseau social ou asocial, essayons de former à quatre un réseau très sociable…

FIN

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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

2 juin 2025