Chroniques vingt-et-unièmes — Une autre guerre — 16 juin 2025

 Une autre guerre

Un banc dans le jardin des Tuileries. Benoît fixe son smartphone. Les dernières nouvelles du front, ou des fronts qui s’ouvrent ici et là. La guerre n’est plus seulement racontée dans les livres d’histoire du lycée. Elle s’insinue dans la vie de tous les jours par les chaînes d’information, les débats et les manifestations qui s’installent dans les rues. Ukraine, Gaza, et maintenant la guerre Israël/Iran. Serait-ce de nature à augmenter l’angoisse proverbiale des Français, et en particulier la détresse psychologique des jeunes, dont on réclame pour la combattre des moyens supplémentaires après le meurtre de la surveillante à Nogent ?

Et verra-t-on la fumée blanche du conclave des retraites ?

Benoît est pensif. Il suit les événements jour après jour, et parfois heure par heure. Il est pris de lassitude et son esprit a envie de s’échapper de cette petite boule bleue dans l’espace, si fragile et si violente, pour embrasser l’Univers tout entier dans son étonnante complexité. Celui-ci est en expansion continue depuis sa création, et cette expansion s’accélère depuis 7 milliards d’années alors que tout laisserait supposer le contraire. Une « anomalie » qui serait liée, faute de mieux, à une énergie « noire » ou « sombre » que l’on a inventée, parce qu'il faut bien une explication à tout, mais dont on n’a jamais jusqu’à présent détecté la moindre trace. C’est cet aspect « chasse aux fantômes » qui intéresse Benoît. Et les astrophysiciens sont très imaginatifs. On n’a jamais détecté cette énergie mais on se plaît à concevoir des scénarios où elle changerait de nature, provoquant une fin d’expansion avant une contraction faisant retourner l’Univers à un état zéro propre à susciter un nouveau Big Bang.

Vertigineux… se dit Benoît. Mais on a encore un peu de temps devant nous…

On compte beaucoup pour en savoir plus sur le télescope spatial Euclid lancé en juillet 2023. En orbite autour du point de Lagrange L2 – là où les forces d’attraction Soleil-Terre s’équilibrent – à 1,5 million de kilomètres de notre planète, sa mission est d’explorer sur 10 milliards d’années l’histoire des variations de l’expansion de l’Univers afin de fournir quelques indices sur cette énergie sombre. Il va pour cela réaliser des « mesures du cisaillement gravitationnel et de la distance des galaxies par la spectroscopie ».

Benoît ne comprend pas très bien ces formules sibyllines, mais il admire le professionnalisme des chercheurs qui parviennent à trouver les bons mots pour décrire leur activité.

Et évidemment, quand on évoque l’énigme de l’énergie sombre vient aussitôt à l’esprit – du moins à celui de Benoît – celle de la matière noire, tout aussi excitante. Dans la communauté scientifique, un engouement semble se produire actuellement vis-à-vis de l’axion, cette particule hypothétique dont l’existence a été pressentie par deux astrophysiciens de Californie dans les années 1970 et à laquelle on attribue un rôle dans la matière noire. Cette particule – là aussi fantôme – serait présente dans tous les recoins de l’Univers, dans le vide sidéral, bien sûr, qui ne serait donc pas aussi vide que cela. Engouement parce qu’un peu partout dans le monde des laboratoires ultrasophistiqués cherchent à la détecter.

Benoît range son smartphone et dirige ses yeux vers le ciel à peine voilé. Il imagine ce qui se passe ailleurs. Ukraine, Gaza, Israël/Iran… Sous le vacarme des bombardements, la poussière des étoiles se mêle à celle des destructions.

Le quartier s’éveille et le parc s’anime de silhouettes pressées.

Le conclave des retraites va s’achever. Une autre guerre.

Mais Benoît sourit. Il nous restera toujours les accords psychédéliques de Brian Wilson…

FIN

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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

16 juin 2025