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Chroniques vingt-et-unièmes — Retour au Club — 5 octobre 2020

Retour au Club   C’est la rentrée. La rentrée du club, c'est-à-dire la première séance depuis le mois de juin. Il fallait s’y résoudre, sauf à ne plus jamais oser se rencontrer, à toujours chercher une excuse pour rester dans son entre-soi, à devenir l’ombre d’un souvenir vis-à-vis des autres. Mais chacun porte son masque, on se résigne, et il reste les yeux où se lit l’envie de découvrir un nouveau versant de la littérature. Le cercle littéraire a été créé il y a trois ans par le professeur Marcus. Ce Marcus, c’est un personnage. Son éternel chapeau de feutrine noire et son écharpe rouge qui l’accompagne font surgir en permanence, flottant comme des spectres, l’image de François Mitterrand et celle plus lointaine d’Aristide Bruant. Liber Circulo , le « club du livre », il a choisi ce nom en tant que fondateur. « Il ne s’est pas foulé », s’est permis de critiquer Ludivine, toujours incisive et fière de ses dernières notions de latin qui lui restent du lycée. En français, le « club

Chroniques vingt-et-unièmes — Un redressement permanent — 28 septembre 2020

Un redressement permanent —  Encore des nouvelles mesures, soupire Sébastien, on ne s’en sortira jamais de ce fichu virus ! —  On s’en sortira. Avec les milliards qui ont été mis sur la table pour trouver un vaccin, c’est certain. La question est de savoir quand. Xavier connaît le pessimisme immémorial de Sébastien dont rien ne le rassure jamais vraiment. Tout en repliant la desserte qui vient d’accueillir leur dernière partie d’échecs, il continue : —  Le problème, bien sûr, c’est l’économie. Sans elle, pas de production, pas de cotisations, pas de protection sociale… Il faut que le plan de redressement fonctionne. Le mot « redressement » éveille un écho silencieux dans l’esprit de Sébastien. Il réplique : —  Redresser le pays… Ça me fait penser à un vieux film qui est passé récemment à la télé. Le Président, tu dois connaître… —  Avec Jean Gabin ? —  Tout juste. Le film est sorti en 1961 et on suppose que l’action se situe un peu avant, avec un mode de gouvernement qui rappelle forte

Chroniques vingt-et-unièmes — Une époque révolue — 21 septembre 2020

Une époque révolue —  Tu reprendras un peu de ce vieux marc de mirabelles ? demande Xavier. —  Ce sera suffisant pour ce soir, répond Sébastien en avançant son fou. Un mardi soir comme les autres. Xavier et Sébastien sont réunis pour leur traditionnelle partie d’échecs dans le salon d’une ancienne maison de maître à l’ouest de Paris. La demeure aurait appartenu à l’un des voisins d’Ivan Tourgueniev et de Pauline Viardot et aurait abrité l’amitié amoureuse, du moins les conversations complices, des deux artistes. C’est ce qu’a assuré l’agent immobilier à Xavier lorsqu’il a acheté la propriété dix ans auparavant. Pensif, réfléchissant à l'improbable et superbe coup qui s’offre à lui, Xavier observe à la dérobée l’ampoule du plafonnier qui clignote et dit :  —  Elle va lâcher, rien ne vaut les bonnes lampes à huile, il doit sûrement m’en rester au grenier… —  Tu penses aux lampes à huile de Macron ? interroge Sébastien. —  Oui, aux lampes à huile et aux amish, il a voulu frapper les e

Chroniques vingt-et-unièmes — Un matin amer — 14 septembre 2020

Un matin amer Ludivine a le sourire aux lèvres. En ce matin du samedi 12 septembre, elle sent une onde de renouveau qui parcourt les rues de Paris : après des mois de quasi-sommeil, les gilets jaunes essaient de se faufiler au travers de la chape sanitaire qui s’est abattue sur la France ces derniers mois. Une chape contestée par certains d’entre eux, des « anti-masques » qui ont fait spécialement le déplacement pour dénoncer un État jugé « totalitaire ». Elle ne partage pas forcément leurs convictions mais elle est heureuse qu’ils soient venus pour gonfler les cortèges. Le pavé semble souple sous ses pas, le soleil incisif illumine les murs pâles et embrase les vitrines, alors que la masse sombre des cars de CRS commence à obscurcir les avenues. Déjà, quelques pancartes où il n’est question que de  démocratie , de  peuple  et de  liberté , comme si l’histoire était à réinventer, comme si elle faisait un singulier retour sur elle-même. Ces mots entrent en résonance avec sa jeunesse ins