Chroniques vingt-et-unièmes — Vivre en France — 1er décembre 2025


 Vivre en France


—  J’ai entendu que le Sénat, ici, a annulé la suspension de la réforme des retraites. C’est ce qu’il nous faudrait en Afghanistan : un Sénat qui puisse annuler toutes les décisions prises par les talibans…

—  Tu peux toujours rêver, mon petit Hamid !

Le sujet n’est en rien joyeux, mais un sourire éclaire le visage d’Émeline. Ils sont installés à l’intérieur d’un café de l’île Saint-Louis et dégustent, elle un chocolat chaud, lui une infusion. Concernant les décisions des talibans, Hamid fait sans doute allusion à l’une des dernières en date, fin septembre, consistant à interrompre pendant 48 heures, après avoir déjà coupé Internet, toutes les communications du pays, avec pour conséquence d’isoler l’Afghanistan du reste du monde et d’empêcher ce qui subsiste de l’économie de fonctionner. Et ce, pour une raison placée au sommet de l’échelle des priorités : prévenir le vice.

—  C’est vrai qu’il faut rêver de temps en temps, continue-t-elle, face à la grimace qui déforme le visage d’Hamid. C’est ce que je ferais à ta place… Et tes amis ?

—  Houessou ?

—  Par exemple.

—  Pas fameux, soupire Hamid. Il vient de recevoir une OQTF. Bon, d’accord, il ne risque pas grand-chose, mais avec un titre de séjour en bonne et due forme, il espérait pouvoir travailler officiellement… Et il n’a plus beaucoup de nouvelles de son pays… Il sait seulement qu’il y a eu une réforme constitutionnelle au Bénin qui crée un Sénat – tiens, un Sénat ! – et qui étend la durée du mandat présidentiel de cinq à sept ans. C’est parfait pour le président Patrice Talon, Houessou craint une dérive autoritaire…

—  C’est la tendance dans beaucoup de pays en ce moment…

—  Mais le pire, c’est pour Ousmane et Yousif.

—  Je les connais ? (Hamid a l’art de se faire beaucoup d’amis.)

—  Non, je ne te les ai pas encore présentés. Ousmane est malien, et Yousif soudanais. Au Mali, c’est de pire en pire. Les islamistes occupent presque tout le pays et bloquent Bamako où vit sa famille. Il reçoit quelques informations : plus d’essence, pénurie de pain et de riz… Il est inquiet… Et pour Yousif, c’est la cata…

Émeline se dit qu’Hamid, qui fut interprète pour les troupes envoyées par la France en Afghanistan, parle de plus en plus comme un Français de souche. « La cata » ! Jusqu’où peut aller la volonté d’intégration…

—  Ouais, la cata… continue Hamid. Il ne sait même plus si ses parents et tous ses frères sont vivants. Ils habitaient El Fasher, là où les forces du FSR ont massacré 2 000 personnes. Tu te rends compte, il y a eu 150 0000 morts depuis deux ans avec la guerre civile, et plus de 11,5 millions de personnes ont été déplacées ! Et on ne fait rien !

Faire quelque chose, c’est le premier réflexe qui vient à l’esprit pour mettre fin à une telle situation de catastrophe. Mais intervenir pour libérer ou sauver des populations est un motif dont on a usé et abusé dans le passé, toujours pour une supposée bonne cause, et qui a débouché sur la colonisation de tout le continent. Le faire aujourd’hui serait sans doute très mal compris, compte tenu du peu de crédit dont jouissent là-bas les Occidentaux. Même l’Union africaine se montre impuissante. Émeline répond :

—  Tu as sans doute raison. Mais il ne suffit pas d’avoir raison pour régler les problèmes.

Elle s’interrompt et se dit : Afghanistan, Mali, Soudan… Finalement, il fait bon vivre en France…

—  À quoi tu penses ? demande Hamid.

—  À la même chose que toi, il me semble…



FIN


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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

1er décembre 2025

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