Chroniques vingt-et-unièmes — Le long déclin de notre grandeur — 17 novembre 2025
Le long déclin de notre grandeur
— Alors, cette fois, ça sent la fin : les dernières forces françaises ont quitté cet été le Sénégal. La Françafrique agonise…
Après ces paroles, Charles a poussé un soupir en reposant sa tasse de café. On sent la nostalgie passer dans le bistrot du Trocadéro. Petit sourire de Ludovic :
— Et tu crois que des gens vont s’en plaindre, en France ou en Afrique ?
— Non, bien sûr, quoique… Au Mali, peut-être ? La junte ne contrôle plus que Bamako… bloquée par les islamistes.
— Ouais, et même avec le soutien de l’Africa Corps de Poutine, je ne pense pas que la junte puisse résister.
Jean-Bernard ajoute :
— L’Africa Corps passera à autre chose. C’est ce que la Russie a fait pour la Syrie. Elle investit maintenant la Libye. Ce que l’on n’arrive pas à comprendre, c’est que Poutine, comme Xi Jin Ping, sont des visionnaires. Et ils ont du temps pour eux…
— Carrément ! répond Charles.
— Oui… ils ont compris que les sociétés occidentales sont arrivés à un tel niveau d’exigences – souvent inaccessibles car la nature humaine est ce qu’elle est – qu’elles sont au bord de l’effondrement. Et il suffit pour eux de donner la bonne impulsion, là où il faut et quand il faut, pour accélérer le mouvement.
— C’est une façon de voir les choses… Alors, tu donnes raison à Poutine d’envahir l’Ukraine !
Jean-Bernard lève les yeux au ciel :
— Mais non, je constate. Il y a aussi l’indéfectible volonté de Poutine, simulée ou pas, de lutter contre le nazisme. Si on cherche bien, on peut fouiner du côté de la Shoah par balles en Ukraine pendant la Deuxième Guerre. Un million de Juifs tués, la plupart du temps d’une balle dans la tête ! Il y a l’exemple de ce village où 33 000 Juifs ont été assassinés en deux jours sous l’œil passif de la population. Des soldats allemands – les sinistres Eisatzgruppen – se sont même plaints à leurs supérieurs parce que leur pistolet chauffait trop et qu’il leur brûlait les mains à force d’exécuter des hommes, des femmes et des enfants ! Ils réclamaient à ce titre des gants pour se protéger…
— Arrête avec ces horreurs, dit Charles ! Passons à autre chose…
— Tiens, oui, parlons par exemple des commémorations, intervient Ludovic. Bon sujet. On a eu le 2 novembre pour les morts, le 11 novembre pour l’armistice, le 13 novembre pour les attentats… Ça fait beaucoup pour un seul mois !
— Il faut bien rendre hommage…, marmonne Charles tout en essayant de récupérer les miettes de son croissant qui se sont éparpillées sur la table.
— Tu as raison, et finalement, je préfère qu’on rallume une flamme sous l’Arc de Triomphe, plutôt que de faire une parade sur les Champs-Élysées, comme au 14 juillet.
Charles fusille Ludovic du regard, comme on le ferait en vrai pour un déserteur :
— Toi, un ancien militaire, tu es contre les parades militaires ?
— Bah oui, on parade, mais pour montrer quoi ? Notre puissance ?
— C’est important de montrer notre puissance !
— Comme en 40 où la France était supposée avoir la meilleure armée du monde ? Je suis désolé de vous décevoir, les amis, parce que nous sommes tous des soldats, mais regardons les choses de plus près, ou plutôt de plus loin… Je trouve que la dernière victoire de la France dans une guerre est assez lointaine…
— La guerre de 14, quand même !
— Je ne partage pas vraiment cet avis. Ce serait plutôt la guerre de Crimée…
— La guerre de Crimée !
— Oui, reprend Ludovic, la guerre de Crimée en 1853 sous Napoléon III… C’est bien la dernière gagnée par nos propres moyens, certes avec l’appui de l’Angleterre, et c’était contre les Russes. Je m’explique : en 1870, on a eu la raclée, personne ne peut le nier. En 14, on a failli l’avoir aussi. Si en septembre, Moltke, le généralissime allemand, n’avait pas fait cette bourde incroyable de s’écarter du millimétrique plan Schlieffen, en dégarnissant son flanc droit, comme le rappelle Éric Vuillard dans son livre La bataille d’Occident que je viens de lire, eh bien la messe était dite. C’est la fameuse bataille de la Marne où nous avons remporté la victoire de justesse, de très grande justesse… grâce aux fameux taxis, paraît-il… Et je ne pense pas qu’on aurait gagné par la suite en 18 sans l’intervention des Américains. Continuons… En 40, c’est encore la raclée, personne ne peut le nier non plus, n’est-ce pas ? Quoi d’autre ? Ah ! La guerre d’Indochine : perdue ! La guerre d’Algérie : perdue ! Ça fait beaucoup… Mais j’oublie quand même : il y a eu nos guerres coloniales entre 1880 et 1914. C’est vrai, on les a gagnées, mais on se battait le plus souvent contre des lances et des flèches. Je ne sais pas si on peut s’en glorifier…
Après ce long développement, Silence des deux autres. Puis Charles murmure :
— C’est un peu exagéré, tout de même…
— À peine… Mais il n’y a que les Français qui ne se rendent pas compte de la situation. Ailleurs, on l’a très bien compris. Par exemple, le journal El Pais a sorti un article sur le « long déclin de notre grandeur ». Et ils s’y connaissent les Espagnols en matière de déclin ! Comme les Portugais… Il y a quelques siècles, ils se partageaient le monde, et ils ont mis des siècles à digérer la fin de leur puissance. Ce n’est que maintenant qu’ils relèvent la tête. Ce sont des pays très dynamiques aujourd’hui. Comparez avec la France… Et je ne pense pas que vendre des Rafale à l’Ukraine y changera quoi que ce soit…
Jean-Bernard se lève, suivi par Charles. Il ne sait que répondre, d’abord parce qu’il ne faut jamais contrarier Ludovic quand il est autant remonté.
— Bon, je pense qu’on se reverra maintenant après les fêtes…
— Sûrement, rétorque Ludovic, et on pensera pendant ce temps-là à autre chose. Ça nous aidera peut-être à digérer le long déclin de notre grandeur…
FIN
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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)
Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
17 novembre 2025

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