Chroniques vingt-et-unièmes — Un compromis historique— 10 novembre 2025


 Un compromis historique


Le « compromis historique ». C’est peut-être ce qu’il manque aujourd’hui en France, pense Quentin qui ne suit pas l’actualité de près, mais qui consulte régulièrement des vidéos sur TikTok, YouTube et Insta, généralement plutôt méprisantes vis-à-vis de la classe politique. Il sait seulement que personne ne s’entend, que les « lignes rouges » s’amoncellent et que le Budget 2026 est loin d’être voté.

Le « compromis historique », c’est le thème du film d’Andrea Segre sur Enrico Berlinguer, merveilleusement interprété par l’acteur Elio Germano, qui vient de sortir en France après un gros succès en Italie. Un film qu’il a eu envie de voir après avoir souvent entendu son grand-père Didier parler de ce personnage de l’histoire contemporaine, pour lui d’un autre siècle, dont les funérailles à Rome déplacèrent un million et demi de personnes, dont de nombreux représentants d’États et d’organisations tels que Mikhaïl Gorbatchev (juste avant de devenir secrétaire général du comité central du PCUS), le Premier ministre chinois Zhao Ziyang ou Yasser Arafat. 

Mais cinq minutes avant le début de la séance, Ludivine a prévenu Quentin qu’elle ne viendrait pas. Son chat devenu subitement malade, c’est la cause qu’elle a invoquée. Un prétexte comme un autre. Il a failli renoncer, s’est ravisé au dernier moment, et finalement ne regrette pas. Ce qu’il retient au moment du générique final du film, c’est que le monde de l’époque, celui des années 70, n’était pas aussi idyllique que le laisse supposer une certaine nostalgie ambiante. Guerre froide, attentats en pagaille, grosse partie de l’Europe sous le joug soviétique… La violence, l’angoisse, l’impression que tout s’effondre… Des années de braise, un no future prégnant. Était-ce si différent d’aujourd’hui ?

Dans ce contexte, Enrico Berlinguer, secrétaire général du parti communiste italien de 1972 jusqu’à sa mort d’une hémorragie cérébrale en 1984, était persuadé qu’il fallait trouver, dans une Italie fracturée et à la dérive, un terrain d’entente avec l’adversaire pour éviter ce qui venait de se passer au Chili avec le coup d’État du général Pinochet contre le président fraîchement élu Salvador Allende. Et ce, en pleine période de ce que les historiens appelleront plus tard les « années de plomb ». En résumé, faire passer l’intérêt du pays avant l’intérêt du parti, avec pour conséquence de chercher à rompre la tutelle de Moscou, hostile à cette politique et à toute compromission avec les « forces bourgeoises », ce qui lui valut peut-être une tentative d’assassinat au cours d’un accident de circulation avec un poids lourd lors d’un déplacement à Sofia (Bulgarie) en 1974, un procédé tout aussi expéditif que le « parapluie bulgare », de sinistre mémoire, très efficace pour injecter dans les mollets insouciants de la ricine, un des poisons les plus dangereux. En face, Aldo Moro, grande figure de la Démocratie chrétienne, avait compris aussi tout l’intérêt d’un tel compromis. Mais l’assassinat de celui-ci par les Brigades rouges en 1978 après le massacre de ses gardes du corps, son enlèvement et une séquestration de 55 jours mit fin à ce rêve.

En s’approchant de la bouche du métro, Quentin se remémore les paroles de la chanson du groupe Téléphone que son père Jean-Bernard chantonne de temps en temps : « Je rêvais d'un autre monde / Où la Terre serait ronde / Où la lune serait blonde / Et la vie serait féconde ». Cette chanson est sortie l’année de la mort de Berlinguer, et il en saisit soudainement beaucoup mieux le sens. 

On rêvait d’un autre monde… Déjà ! Quentin s’étonne. Et la gen Z de l’époque, aujourd’hui appelée boomers, devait se figurer que le temps jouait pour elle, qu’il suffisait d’être patient, que le pouvoir lui tomberait dans les mains, comme cela s’est toujours passé pour ceux qui savent attendre, oubliant toutefois que le temps, impitoyable, use les idées et les plus belles convictions.

Un compromis historique… Qui pourrait s’en inspirer aujourd’hui ?


FIN


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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

10 novembre 2025

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