Chroniques vingt-et-unièmes — Une somme de poussières — 27 octobre 2025
Une somme de poussières
Xavier achève son jogging matinal d’un pas alourdi dans les feuilles qui commencent à faire masse sur les chemins. Un signe…
On s’en doutait. L’invasion avait été annoncée et ils arrivent maintenant par bataillons très serrés. La presse, depuis quelques semaines s’en faisait l’écho.
Mais on ne peut rien faire contre cette offensive d’automne.
Les marchés et les devantures de fleuristes en sont couverts. Ils sont bien là les chrysanthèmes, fiers de leurs couleurs éclatantes qui vont nous aider à percer la grisaille ambiante, à soustraire de notre vie agitée par les tourments du quotidien quelques souvenirs de ceux que l’on a aimés, probablement pas assez, sans qu’on ait trouvé un moment pour leur dire, parce que l’éternité nous paraissait si lointaine et notre temps si précieux. Ils ont cru, ces morts, sans doute comme nous lorsqu’ils étaient bien vivants, pouvoir construire un futur meilleur pour le laisser à ceux qu’ils chérissaient le plus, leurs enfants, apporter une pierre modeste à ce qui les entourait, ou simplement essayer de comprendre ce qui échappe à l’entendement, et lutter parfois contre ceux qui voulaient faire table rase d’un passé jugé détestable, ne laissant pourtant, malgré des vies trépidantes jonchées de grands malheurs et de petits bonheurs, qu’une empreinte imperceptible dans le grand maelström du monde. Une somme de poussières qui retournent à la poussière, mais une empreinte, tout de même, qui fait que génération après génération, malgré beaucoup de déperditions, ce monde avançant avec peine nous a permis de sortir des cavernes.
Xavier regagne la maison. « Tu verras, à partir d’un certain âge, on connaît plus de gens morts que vivants… » Il repense souvent à cette phrase que lui répétait son père allongé à présent dans son lit de granit, attendant sa visite annuelle. Connaître surtout des morts… C’est la rançon d’un temps immobile traversé par des ombres qui surgissent l’espace d’une vie dans la lumière.
Alors, ce qu’on appelle communément la Toussaint existe pour leur redonner vie dans nos souvenirs. Il n’en fut pas toujours ainsi puisque cette célébration du 1er novembre, née en Angleterre au VIIIe siècle, était avant tout la fête de tous les saints, invoqués dans une atmosphère joyeuse puisqu’ils étaient censés avoir atteint, le plus souvent après un long parcours de souffrances, un univers de délices, ce royaume d’amour que l’on veut ne plus jamais quitter dès lors qu’on y a posé le pied ou son âme, une célébration créée bien avant celle du 2 novembre inventée par l’abbaye de Cluny trois siècles plus tard, conçue, elle, dans le but d’honorer les autres morts, les morts ordinaires, les sans-grade pour lesquels il fallait, dans une attitude de recueillement et la multiplication de messes et de processions expiatoires, implorer sans relâche la clémence du Ciel.
Mais le temps a fait ce qu’il sait faire de mieux, il noie les intentions et les habitudes. Et aujourd’hui, c’est le jour de la Toussaint que l’on rend visite à nos morts, le lendemain de la fête d’Halloween apparue au XIXe siècle dans les pays anglo-saxons avant de s’implanter, il y a une trentaine d’années, sur notre continent, peut-être pour exorciser à grand renfort de sorcières et de monstres cette peur insondable, cette issue que chacun redoute, qui n’est cependant que la première étape des retrouvailles avec ceux que nous avons tant regrettés.
Mais je ne suis pas pressé, se dit Xavier. Et les morts ne sont pas tout à fait morts tant qu’ils restent dans la mémoire des vivants.
FIN
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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)
Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
27 octobre 2025

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