Chroniques vingt-et-unièmes — En son âme et conscience — 15 septembre 2025
En son âme et conscience
Le club des anciens du lycée s’est reconstitué une petite heure dans le bistrot de Saint-Germain. On a d’abord parlé vacances – une conversation normale en ce temps de rentrée – et puis l’actualité, naturellement, s’est très vite imposée. Magali, la magistrate, a ouvert la discussion avec la taxe Zucman à laquelle elle n’est pas hostile, a priori. « Une façon de faire participer les riches à l’effort national », a-t-elle justifié. Mais Alexandre, l’économiste, est d’un avis bien différent. Il ne veut pas froisser son amie et se permet une courte explication :
— Je pense qu’une légère confusion s’est glissée dans le débat. Zucman, auquel tu fais allusion, mélange revenus et patrimoine. En France – en excluant les cas de fraude fiscale car c’est un tout autre sujet – lorsqu’on touche des revenus, on est assujetti à l’impôt qui est le même pour chacun, à savoir 41 % dans sa tranche maximale. Donc, si les Pinault, Arnault, Bolloré, Bettencourt et autres se versent des salaires, ils paieront 41 % comme tout le monde dans la tranche maximale. La question, c’est que certains ne voient pas l’intérêt de se verser des millions d’euros de salaire. Une rémunération de cent mille par mois leur convenant amplement, ils préfèrent laisser l’argent dans leurs sociétés…
— Mais ils font de l’optimisation fiscale ! l’interrompt Magali.
— J'aimerais désigner ça différemment, répond Alexandre. C’est vrai, ces gens ont des holdings dans lesquels ils rangent les participations de leurs entreprises. C’est plus facile à gérer ainsi. Il s'avère que la valeur de ces sociétés augmente avec le temps, et on s’indigne alors que ces nantis deviennent de plus en plus riches, tandis que les pauvres le sont davantage du fait des circonstances économiques que vous connaissez tous. Mais c’est pareil pour vous et moi, dans une moindre proportion, lorsque nous possédons des œuvres d’art ou des biens immobiliers. Leur valeur peut augmenter. Mais pour les riches ou ultrariches, on trouve cela anormal.
— Justement, ce ne sont pas les mêmes proportions…, intervient Nassim, le spécialiste de l’IA.
— D’accord, mais la loi est la même pour tout le monde. On ne peut pas faire une loi pour les riches et une loi pour ceux qui ne le sont pas. Et si les riches vendent une partie de leurs parts de holdings, ils acquitteront l’impôt sur les plus-values, ou s’ils décèdent avant, ce sont leurs héritiers qui paieront les droits de succession qui, je le rappelle, peuvent atteindre 40 % en ligne directe. Et puis, autre problème : nous avons déjà en 2024 un taux de recettes publiques de 51,5 % du PIB si on considère un taux de dépenses publiques de 57,3 % et un déficit de 5,8 % ; ce taux figure parmi les plus élevés des pays de l’OCDE. Si nous adoptons la taxe Zucman, avec les 25 milliards que celle-ci, pour les plus optimistes, est supposée rapporter, nous aurons, pour un PIB de 2 919 milliards d’euros, un taux de recettes publiques de 52,3 %, c'est-à-dire 0,85 point de plus. Cela ne va pas vraiment dans le bon sens. Faut-il 60 % pour satisfaire tous les besoins ? Ou 70 % ?
Thomas, l’historien, fait remarquer :
— Tu noies un peu le poisson…
— Pas du tout. Ce ne sont que des données macro-économiques, mais peu s’en soucient. Et en fait se répand l’idée que les riches ne paient pas d’impôts. Ils deviendraient même des parasites. Alors, évidemment, quand on pose cette question abrupte « Les riches doivent-ils payer des impôts ? », la réponse – c'est logique – est forcément OUI, par réflexe de justice fiscale. La « justice fiscale », c’est d’ailleurs ce qu’on entend le plus souvent dans les cortèges.
Magali ne cache pas une moue à l’énoncé du terme de « justice ».
— Et puis, continue Alexandre, il pourrait y avoir des effets pervers. On a cité par exemple les fondateurs et propriétaires de la société française Mistral AI – une réussite spectaculaire – créée il y a deux ans et valorisée à ce jour à près de 12 milliards d’euros…
— Oui, c’est assez fantastique, ponctue Nassim.
— Eh bien, c’est leur seule richesse à ces fondateurs, et pour s’acquitter de la taxe Zucman de 2 % – 240 millions par an – , ils seraient obligés de vendre une partie de leurs actions, lesquelles actions pourraient être achetées par des fonds américains, indiens ou chinois, car les actionnaires français, compte tenu de l’opprobre qui pèse sur eux, deviennent de plus en plus frileux. Avec donc un risque de passer sous contrôle étranger… Certes, vous allez me dire : 240 millions par rapport à 12 milliards, ce n’est pas grand-chose, mais une valorisation a un petit côté virtuel tant qu’on ne dispose pas des espèces sonnantes et trébuchantes. Une espérance en quelque sorte. Ce qui vaut 12 milliards aujourd’hui peut ne plus rien valoir demain ; on l’a suffisamment vu dans le passé…
— Excuse-moi, Alexandre, insiste Thomas, d’accord, tu es économiste, mais sans vouloir minimiser tes compétences, Zucman est très connu et très fort, il enseigne à Berkeley et à l’ENS en France… Il se trompe alors ?
— Il évolue dans sa réalité et il a sans doute raison dans sa réalité propre. Mais dans la mienne, ce n’est pas le cas. Chacun vit dans sa réalité, c’est vieux comme le monde. Sinon, tout irait pour le mieux, la concorde régnerait sur terre et il n’y aurait pas de conflits…
— Mouais… fait Magali en reposant son verre de Spritz.
Alexandre termine son explication qui finalement n’est pas si courte :
— Mais à l’origine, il y a un biais bien franco-français. En supposant que Zucman ait raison dans toutes les réalités, il propose d’instaurer cette taxe au niveau mondial et pas uniquement dans notre pays, ce qu’oublient ses promoteurs en France. L’instaurer au niveau mondial éviterait les effets de délocalisation du patrimoine. Seulement, on sait bien qu’instaurer une mesure au niveau mondial prend du temps…
Un silence un peu gêné clôt les propos d’Alexandre. Il enchaîne :
— Allons, on ne va pas débattre toute la soirée de la taxe Zucman. Magali, on parle beaucoup du laxisme de la justice en ce moment…
— Oui, enfin, c’est vite dit… rétorque-t-elle. En fait, c’est toute la question du rôle de la prison. La plupart des pays dans le monde considèrent qu’elle sert à punir et à dissuader. Dans nos sociétés occidentales, on y ajoute un volet réinsertion, et ensuite – c’est le cas en France – le cocktail est laissé à l’appréciation du juge en fonction de la personnalité de l’individu : faut-il réinsérer plutôt que punir ou punir plutôt que réinsérer ? On aimerait faire les deux à la fois mais la tâche n’est pas aisée.
— Et toi, tu te situes comment ? interroge Alexandre.
Légère pause de Magali :
— Moi, je juge en mon âme et conscience.
— Très bien, conclut Thomas. C’est comme pour la taxe Zucman : chacun jugera en son âme et conscience…
FIN
https://gauthier-dambreville.blogspot.com
https://app.partager.io/publication/gd
Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)
Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
15 septembre 2025

Commentaires
Enregistrer un commentaire