Chroniques vingt-et-unièmes — Saint Emmanuel — 22 septembre 2025
Saint Emmanuel
La première séance de la nouvelle saison du Liber Circulo avait pourtant bien commencé, le professeur Marcus essayant de tenir tout son monde avec l’examen de la rentrée littéraire. On a évoqué La Hideuse de Reine Bellivier, La Maison des rêves de Nora Hamadi, Aucune nuit ne sera noire de Fatou Diome, Salomé d’Agatha Chenevez, Collision de Paul Gasnier, Peau d’ourse de Grégory Le Floch, Quitter Berlioz d’Emmanuel Flesh, Un mal irréparable de Lionel Duroy, Tout ira bien de Laurent Nunez, La tentation artificielle de Clément Camar-Mercier…
Sans oublier Je ne serai plus une proie, où Anne Deneuchatel explique en long et en large comment elle s’est fait escroquer sur les réseaux sociaux par un faux Brad Pitt qui lui a soutiré 830 000 euros. Louis a aussitôt fait remarquer que cela aurait pu s’appeler : Comment ne pas se faire escroquer par un faux Brad Pitt pour les nuls.
Et puis Elsa a ouvert le bal – ou les hostilités, c’est selon – en lançant la conversation sur ses difficultés à trouver un logement après le divorce qu’elle vient de vivre.
— J’ai dû retourner habiter chez mes parents. C’est la honte…
— Mais non, la console Damien, il y en a beaucoup dans ton cas…
— Alors pourquoi on ne construit pas plus de logements sociaux ? D’ailleurs, j’ai entendu que l’Union des HLM exige ça de l’État…
Louis s’esclaffe :
— Mais il y en a des logements sociaux ! Alors que la France représente 15 % de la population de l’Union européenne, elle compte 25 % des logements sociaux ! Sauf que d’après nos critères, 70 % des foyers sont éligibles aux logements sociaux… Du coup, c’est la course sans fin…
Regard accusateur de Marcus sur Louis :
— On parle de la rentrée littéraire, s’il te plaît.
Mais cette remarque n’a pas l’air de déranger Elsa :
— Eh bien, dans ce cas, l’État devrait construire 75 % de logements sociaux !
— Et tu prends où l’argent ? demande Guillaume. Tu as vu la dette publique ?
— Mais c’est Macron qui a creusé la dette ! Mille milliards d’euros depuis qu’il est là parce qu’il a fait des cadeaux aux riches ! Et il veut maintenant nous faire les poches !
Sous les yeux toujours courroucés de Marcus, Damien explique alors :
— Je vais sans doute me faire l’avocat du diable, mais regardons les choses sereinement, sans faire de politique…
— Oui, pas de politique ici, renchérit Marcus.
— D’accord. Le traité de Maastricht autorise un déficit de 3 % du PIB. Pour être honnête, je ne pense pas qu’un autre gouvernement que ceux qui se sont succédé sous Macron aurait pu faire moins de 4 %, compte tenu de la tendance de nos finances. Si on ramène au PIB moyen depuis 8 ans, on aurait eu de toute façon, sur la base de 4 %, une aggravation de la dette publique de 800 milliards, quel que soit le gouvernement en place. Finalement, depuis 8 ans, Macron n’a donc creusé la dette que de 200 milliards de plus…
Ludivine soupire :
— On fait dire aux chiffres ce qu’on veut…
Kevin se permet alors d’intervenir :
— Évidemment, on le critique aujourd’hui, mais il faut le recul de l’histoire… Peut-être qu’un jour Macron sera canonisé…
Éclats de rires dans la salle.
— Mais oui, poursuit Kevin, on a un exemple illustre, celui de Saint-Louis…
— Saint-Louis ? (L’exclamation est unanime.)
— Bien sûr ! Les croisades lui ont coûté plus d’un million et demi de livres, six fois les recettes du royaume qui n’étaient à cette époque que de 250 000 !
Et Kevin d’ajouter que cela n’a pas empêché le roi d’acheter la couronne d’épines pour 135 000 livres et de faire construire la Saint-Chapelle afin de l’abriter pour la somme de 40 000. Laquelle couronne d’épines – qui déjà n’en comportait plus, celles-ci ayant auparavant été dispersées dans toute la chrétienté, ce qui aurait dû permettre à Saint-Louis d’obtenir une réduction – aurait été, selon la tradition, retrouvée au IVe siècle en Terre sainte par Hélène, la mère de Constantin, en même temps que la vraie croix et les clous ayant servi au supplice. On se demande toutefois si ces reliques n’ont pas été tout simplement fabriquées ex nihilo par Hélène pour renforcer la religion à laquelle vient de se convertir son fils… En tout état de cause, cette acquisition de la couronne d’épines et les croisades contre les infidèles, le tout associé, en bon chrétien qu’il est, à une persécution des Juifs, valaient bien au roi une canonisation. Elle fut prononcée en 1297, 27 ans seulement après son décès à Tunis. Cependant, compte tenu de ces dépenses, il laisse une dette considérable à sa mort, avec, heureusement, un ordre religieux disposé à prêter sans compter à la monarchie : celui des Templiers. Les moines-soldats étaient d’ailleurs les banquiers du royaume, et plus tard, le petit-fils du roi canonisé, Philippe IV, fera coup double en se débarrassant d’eux. Certes, il mettra fin à une confrérie un peu trop influente dépendant directement du pape, et peut-être devenue inutile après la prise de Jérusalem par Saladin en 1187 et la conquête de Saint-Jean-d’Acre – le dernier territoire État latin en Terre sainte – par les mamelouks en 1297, mais surtout il effacera par ce coup de force une grosse partie de la dette royale. Évidemment, ces méthodes brutales ne peuvent plus être employées aujourd’hui, c’est bien là le problème…
— Bon, bon, bon… maintenant que tout le monde s’est exprimé, j’aimerais qu’on en revienne à notre rentrée littéraire, interrompt Marcus. Et si vous en êtes d’accord, nous irons ensuite prendre un pot tous ensemble à la santé du futur saint Emmanuel…
FIN
https://gauthier-dambreville.blogspot.com
https://app.partager.io/publication/gd
Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)
Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
22 septembre 2025

Commentaires
Enregistrer un commentaire