Chroniques vingt-et-unièmes — Du neuf avec du vieux — 18 août 2025


 Du neuf avec du vieux


Intéressant cette nouvelle de Bram Stocker découverte dans les archives de la bibliothèque de Dublin. Publiée en 1890 sous le nom de Gibbet Hill dans le journal The Daily Mail, elle est depuis passée sous les radars car on n’en trouve aucune mention dans les biographies consacrées à l’auteur. Elle est pourtant totalement caractéristique des thèmes de prédilection de Bram Stocker – le bien et le mal, notamment – et certains voient dans ce récit macabre un premier jalon sur le chemin qui va mener à la parution de Dracula sept ans plus tard.

J’aimerais la lire, pense Kevin. Si les écrans me laissent quelques disponibilités…

Il possède une édition originale de l’ouvrage phare de Stocker – une rareté – à la couverture ocre en lettres rouges qu’il a mis plusieurs années à dénicher. Et l’œuvre ressurgit actuellement au-devant de la scène avec le dernier film de Luc Besson. Mais ce n’est pas étonnant, car la saga du comte Dracula puise dans des racines historiques : la vie du prince de Valachie Vlad III, surnommé l’« Empaleur », effrayant par son inclination à se repaître du supplice de ses victimes. Une genèse très éloignée de celle du Frankenstein de Mary Shelley, écrit dans la vogue du roman gothique de l’époque, parti de rien finalement, si ce n’est du mythe de Prométhée, né simplement de la volonté d’un groupe d’amis de rivaliser entre eux avec des « récits de spectres » afin de tromper le temps, dans les deux sens du terme, alors qu’ils séjournent près du lac Léman en 1816, pendant ce terrible été, apocalyptique, fantasmagorique pour ceux qui l’ont vécu, consécutif selon les climatologues d’aujourd’hui aux violentes éruptions volcaniques qui ont secoué un an plus tôt l’île de Sumbawa en Indonésie. C’est du moins ce qu’en sait Kevin. Mais s’agissant de Dracula, c’est bien différent. En 1463 est imprimé un pamphlet destiné au pape et à diverses têtes couronnées, dénonçant au travers d’anecdotes répugnantes les atrocités commises par le démoniaque Vlad III, décrit comme sanguinaire, affublé pour l’occasion du surnom de « Dracula » signifiant « Fils du diable » ou « Dragon », des qualificatifs qu’il n’a pas usurpés. Le comportement de ce tortionnaire est un véritable affront en terre chrétienne, et c’est en réaction à ce pamphlet qu’il est arrêté par son suzerain, le roi de Hongrie. Il existe donc une part d’authenticité dans la formation du mythe sur lequel est venu se greffer tout un imaginaire de suceurs de sang dont il est difficile, là, par contre, de retrouver les origines.

Les jeunes devraient le lire, se dit Kevin. Et peut-être que le Pass culture pourrait aider. Pas tous les jeunes, cependant. Une étude a montré que ce sont ceux des milieux aisés qui profitent le plus de ce dispositif. Et pas pour ce que l’on croit. Si les deux tiers des 300 euros alloués à un jeune de 18 ans sont bien dépensés dans la lecture, c’est essentiellement pour des mangas. Et le tiers restant va dans les jeux vidéo. Presque rien pour les musées et les théâtres. C’est le genre de mesure qui a raté son objectif. Et compte tenu de l’état des finances publiques, sa pérennité n’est peut-être pas assurée…

La lecture est donc de plus en plus délaissée. Un jeune s’y consacre en moyenne dix-sept minutes par jour contre un peu plus de quatre heures pour les écrans. Cela ne va pas arranger la situation en matière d’illettrisme puisque déjà un adulte sur dix en France éprouve des difficultés à la lecture. Pour répondre à ce problème, il faudrait selon des observateurs « changer notre regard sur l’illettrisme » afin de ne pas « stigmatiser » les personnes concernées, mais Benoît se demande comment ces gens sont passés entre les mailles du filet.

Bon… Ne soyons pas trop pessimiste. Il y aura sûrement un coup de balancier et tout reviendra dans l'ordre.

Ou alors, à 45 ans, je suis devenu un has been

Et quitte à être un has been, Kevin se dirige vers un meuble secrétaire du salon pour en extraire un vinyle hérité de son père, là aussi une rareté, le fameux Soul Bossa Nova, – pochette orange et label Mercury – composé et interprété par Quincy Jones, une légende, un monument du be-bop, du hip-hop et de la pop, mort le 4 novembre dernier sans qu’on en fasse beaucoup état, trompettiste, arrangeur, mais surtout producteur avisé des plus grandes gloires musicales américaines (plus de mille albums), qu’il s’agisse de Count Basie, Franck Sinatra, Ray Charles, Aretha Franklin ou Michael Jackson. 

Le vinyle gratte un peu sur la nouvelle platine que Kevin vient d’acheter. Il voudrait pousser le volume à fond, mais il préfère utiliser son casque pour ne pas gêner les voisins. La sonorité est parfaite. Quelle merveille, quel talent, quelle perspicacité !

Faire du neuf avec du vieux. Dracula, Soul Bossa Nova… Ce sera toujours la solution…



FIN


https://gauthier-dambreville.blogspot.com

https://app.partager.io/publication/gd

Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

18 août 2025

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