Chroniques vingt-et-unièmes — Regarder les choses en face — 7 juillet 2025


 Regarder les choses en face


—  Tiens, ça m’avait échappé : la Belgique a adopté en fin d’année dernière une loi permettant d’accorder des contrats aux travailleurs du sexe…

Émeline lève la tête de la chaise longue en regardant son mari :

—  Ah oui, ça t’intéresse ?

Xavier répond, légèrement énervé :

—  Et voilà, je m’attendais à cette réaction… Les travailleurs du sexe pourront bénéficier, moyennant cotisations, de la retraite, d'arrêts de maladie et de congés de maternité. Comme n’importe quel salarié, finalement…

—  Ils sont fous ces Belges !

—  C’est vrai que, contrairement à nous, la Belgique a dépénalisé la prostitution, comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Turquie…

—  Oui, et c’est même scandaleux !

Xavier se demande pourquoi ce sujet est toujours si sensible.

—  Pourquoi scandaleux ? Tu ne trouves pas qu’il y a contradiction ? En France, on te répète à l’envi que la femme est libre de son corps – c’est notamment l’argument majeur pour le droit à l’avortement –, mais pour la prostitution, elle ne serait pas libre. Bizarre, non ?

—  Mais tu mélanges tout ! Dans le cas de la prostitution, la femme est une victime !

— Elle devient surtout une victime, essaie d’expliquer Xavier, lorsque la prostitution est illégale et qu’elle s’exerce dans des conditions sordides. Parce que la clandestinité provoque tous les excès. Mais si l’activité est réglementée et surveillée – c’était le cas jadis, je te le rappelle, avec les maisons closes –, la situation change du tout au tout. Et ce qui est intéressant en Belgique, c’est que les activités non déclarées de prostitution sont maintenant assimilées à du proxénétisme qui demeure toujours sous le coup de la loi. Cela me paraît équilibré, non ?

—  Il n’empêche que cela reste de la marchandisation du corps !

Xavier s’extrait de son hamac et arpente la terrasse :

—  Il me semble qu’on en a déjà abordé ce sujet. On ne parle pas de marchandisation lorsqu’un footballeur se vend au plus offrant. Et pourtant, qu’est ce qu’il vend le footballeur ? Son corps ! Idem pour les joueurs de tennis, les cyclistes…

—  Là, tu dérailles… Tu ne vas tout de même pas comparer Mbappé à un prostitué !

—  C’est toi qui emploies ce terme. Il vend une partie de son corps comme une prostituée vend une partie du sien. Du moment que l’acte est consenti, déclaré et réglementé – j’insiste –, cela ne me dérange pas. Tu oublies que dans toute société, certains, et surtout des hommes, du fait de leur statut social, de leur couleur de peau, de leur timidité ou de tout autre critère, ne parviennent pas à trouver l’âme sœur. La prostitution offre un palliatif. Et il vaut mieux cela que d’agresser des jeunes filles dans les transports en commun ou pendant leur jogging…

Émeline semble exaspérée :

—  Parce que tu fais un lien entre les deux phénomènes ? Si Ludivine t’entendait…

—  On devrait au moins se pencher sur la question, et laisse Ludivine de côté s’il te plaît… Le problème est toujours le même. Comme pour la drogue, une demande existe. Avec la criminalisation de « l’achat de sexe » – on l’appelle ainsi en France –, on nie que le sexe a de tout temps été au centre des préoccupations dans la société de façon plus ou moins cachée. Et si ce n’était pas le cas, nous ne serions pas, toi et moi, en train d’en discuter en ce moment. Bon sang, regardons les choses en face !

—  Je n’ai pas envie de regarder ces choses-là en face, et d’ailleurs, j’ai bien d’autres choses à regarder. À propos, pour les places du concert de jazz le mois prochain dont je t’ai parlé, tu as scanné le QR Code ?

Oui, changeons de sujet, pense Xavier. Il dit toutefois :

—  « QR Code », on n’a plus que ce mot à la bouche ! Aujourd’hui, on ne peut plus rien faire sans un QR Code. Pourtant, le mot n’est pas très sexy, si j’ose dire…

—  C’est le terme qu’on emploie.

—  Sûrement, mais on pourrait maintenant l'appeler différemment. On l’a bien fait pour «  one-man-show » qui se dit à présent « seul en scène » ou « mail » qui se dit « courriel »… Par contre, pour « QR code », on est incapable de trouver un équivalent français.

—  Je te suggère d’en reparler quand tous les autres problèmes seront réglés…



FIN


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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

7 juillet 2025

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