Chroniques vingt-et-unièmes — La loi du plus fort — 14 avril 2025
La loi du plus fort
— Ce qu’a fait Trump est aussi inouï que la dénonciation des accords de Bretton Woods par Nixon en 1971 !
En prononçant ces paroles, Sébastien lance un coup de pied sur un tas de feuilles mortes que l’hiver n’a pas encore éparpillées. Il longe avec Xavier la lisière du bois d’aulnes près de l’étang. Celui-ci réagit :
— Ah oui, la fin de la convertibilité du dollar en or… Un véritable cataclysme ! C’est vrai que cette décision a tout changé. Comme beaucoup de monnaies étaient elles-mêmes indexées sur le dollar, elles se sont mises à flotter entre elles. Je ne te raconte pas les dégâts pour le commerce mondial, il a fallu inventer des instruments de couverture…
— Ça a surtout compliqué les choses…
— Bien sûr, mais tu crois que de toute façon le dollar aurait pu rester sur une parité de 35 dollars l’once ? Il est à plus de 3 200 dollars en ce moment !
— Il n’empêche que Trump bafoue le droit international. Il se fiche de l’OMC et du G20, il quitte l’OMS et l’accord de Paris, il imite Poutine finalement…
— Le droit international, bon débat…
Sébastien lève les yeux au ciel, le temps d’apercevoir une buse qui surveille la campagne :
— Quel débat ? Le droit international, il faut l’appliquer !
— Ce qu’on appelle le droit international, répond Xavier doctement, c’est l’ensemble des traités signés entre tous les États. Mais lors de la signature d’un traité, c’est toujours celui qui est en situation de force qui impose ses vues à l’autre. Or, au cours de l'histoire, l’équilibre des forces évolue, et les traités signés ne correspondent plus à la situation du monde. Ils deviennent caducs en quelque sorte…
— Tu voudrais tout remettre en cause ?
— Pas besoin, la remise en cause se fait toute seule. Je vais te citer un exemple : les guerres napoléoniennes. À la suite de chacune de ses victoires – Marengo, Austerlitz, Iéna, Friedland, Wagram, etc. –, Napoléon signe un traité avec la partie adverse qui a été battue. On peut dire qu’à l’époque ça constituait le droit international. Mais que se passe-t-il après Waterloo ? Tout change ! Balayé le droit international ! Le traité de Vienne va ensuite être signé et un nouveau droit international va se mettre en place, jusqu’au suivant…
— C’est vieux tout ça…
— Alors, je vais te parler des traités signés avec l’Allemagne après la débâcle de 45. Tu crois qu’elle pouvait s’opposer aux Alliés ? Dans l'état où elle était, elle a signé tout ce qu’on lui demandait. Et c’est encore ce droit international qui est valable aujourd’hui. Là, ce n’est pas si vieux…
— Avec ce qu’a fait l’Allemagne, c’était absolument normal ! s’exclame Sébastien.
— Évidemment, mais par nature, les traités sont faits pour être dénoncés. En fait, je ne connais que deux traités qui dans la durée n’ont jamais été dénoncés, c’est peu… Je pense au traité de paix perpétuelle conclu entre la France et la Suisse en 1515 après la défaite des mercenaires suisses à Marignan contre les troupes françaises. C’est d’ailleurs pour cela que les soldats suisses ont toujours constitué la garde rapprochée du roi de France jusqu’à la Révolution. Et en remontant davantage la « Auld Alliance » de 1295 entre la France et l’Écosse. Ce serait la plus ancienne alliance du monde, dirigée forcément contre l’ennemi commun : l’Angleterre.
— Si tu vas chercher aussi loin…
— Dans ce cas, je peux te prendre un autre exemple dans l’actualité immédiate. En ce moment, tu sais que les États-Unis et l’Iran discutent sur le nucléaire iranien. Pour les Iraniens, il était pourtant hors de question, il y a une semaine encore, de discuter de façon bilatérale avec les Américains. Mais après les menaces de frappe de Trump, c’est ce qu'ils font maintenant. Pourquoi ? À l’ouest, Israël a ses missiles braqués sur l’Iran après avoir détruit en octobre dernier une grande part des défenses antiaériennes du pays. Et au sud, la flotte américaine croise au large des côtes dans l’océan Indien, prête à envoyer ses bombardiers furtifs B-2. L’Iran, d’une certaine manière, négocie avec un pistolet sur la tempe. Cela n’a pas empêché les deux camps de déclarer que les « discussions sont constructives ». Nul doute qu’on arrivera à un accord et à la signature d’un traité qui fera lui aussi partie du droit international. Toujours la loi du plus fort…
— La loi du plus fort, ça ne peut pas continuer éternellement ainsi…
Xavier hoche la tête :
— J’ai bien peur que si, du moins tant que l’homme restera le plus fort sur terre…
FIN
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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)
Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
14 avril 2025
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