Chroniques vingt-et-unièmes — Une épée de Damoclès — 7 avril 2025


 Une épée de Damoclès


—  En fait, nous sommes rattrapés par la réalité.

—  Et elle n’est pas belle la réalité !

—  Je crois, Ludivine, que nous ne parlons pas de la même chose… Je veux parler de l’impasse dans laquelle le monde est arrivé.

—  Enfin, tu reconnais l’impasse !

Ludivine exulte. Son père commencerait-il à admettre qu’il faut rebattre toutes les cartes ?

—  Attends… Tu vas penser que je me fais l’avocat du diable, mais Trump a de bonnes raisons de faire ce qu’il fait…

La douche froide. Ludivine se demande si son père, en se présentant comme l’avocat du diable, n’est pas le diable lui-même.

—  On a toujours tendance à l’oublier, mais les États-Unis sont depuis des décennies au bord de la faillite, explique Xavier. Une situation qui ne peut pas durer éternellement. Réfléchis : leur dette est de 36 000 milliards de dollars, à comparer à la nôtre qui est dix fois inférieure pour, je te le rappelle, une population cinq fois moindre ; elle représente 122 % de leur PIB et elle a doublé en dix ans ; à ça, il faut ajouter un déficit commercial de plus de 1 000 milliards par an ; 130 milliards de dollars rien que sur janvier ! Ce ne serait pas très grave si les États-Unis n’étaient pas la première puissance économique du monde.

—  Tu m’assommes avec tes chiffres…

—  Oui, mais les chiffres ont leur importance, ils participent à la réalité… Trump est en train de faire brutalement ce que les présidents qui l’on précédé aurait dû faire avec douceur au cours des dernières décennies. Mais maintenant, on est au pied du mur et ça ne peut plus se passer en douceur. C’est en quelque sorte une mesure préventive : si les États-Unis font faillite, c’est le monde entier qui fait faillite, et, crois-moi, ce sera bien plus terrible que les Bourses qui dégringolent en ce moment.

Ludivine se lève pour quitter le salon où elle et son père sont installés. Impossible de raisonner avec lui. Il la retient par le bras :

—  Et puis d’un point de vue environnemental, c’est très positif…

Elle lui fait face.

—  Je me demande bien comment !

—  Aujourd’hui, les mers grouillent de porte-conteneurs qui transportent des marchandises d’un point à l’autre de la planète. Pourquoi ? Parce que le transport n’est pas cher et que les droits de douane ne sont pas dissuasifs. Sans parler des routes avec leurs norias de camions. Par exemple, pour l’industrie automobile en Amérique du Nord, des pièces font je ne sais combien de fois la navette entre le Mexique, le Canada et les États-Unis avant que la voiture soit définitivement assemblée. Et on constate la même chose en Europe pour de multiples produits. Est-ce bien raisonnable ? Les mesures de Trump avec la réciproque de l’UE et de la Chine, vont favoriser la production dans chaque pays, donc les circuits courts. C’est très « développement durable » tout cela, tes copains devraient se réjouir !

Elle hausse les épaules.

—  Et tu approuves aussi les licenciements de fonctionnaires ? 

—  D’abord, je n’approuve rien mais j’essaie de prendre du recul. C’est vrai, il y a des licenciements de fonctionnaires mais pourquoi ? Toujours pour des raisons identiques : les risques de faillite. Les États-Unis sont régulièrement en shutdown et ça signifie quoi ? Que l’administration fédérale ne peut plus dépenser un seul cent, donc ne plus payer les fonctionnaires, notamment. C’est très différent de la France qui, elle, peut continuer à s’endetter sans qu’une loi l’autorise. Là-bas, le dernier shutdown a été évité de justesse il y a trois semaines, et l’échéance reportée de quelques mois. Peut-on vivre constamment avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête ?

—  Je ne comprends rien à ces histoires d’épée mais si tu y crois, c’est le principal !

Et Ludivine disparaît en claquant la porte. Ainsi se termine la conversation. Entre eux, le shutdown est permanent.


FIN


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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

7 avril 2025

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