Chroniques vingt-et-unièmes — Continuer sans nous — 21 avril 2025
Continuer sans nous
— J’ai l’impression que les zones à faible émission ont du plomb dans l’aile, commente Jean-Bernard en repliant sa tablette. Et je ne dis pas ça parce que je suis un ancien militaire…
C’est une source de débat, des municipalités s’interrogent. Dans beaucoup d’endroits, on est prêt à « faire de la pédagogie », mais on se refuse à verbaliser, le sujet est trop inflammable.
— On n’est pas très courageux, répond Élise, assise en face de son mari. C’est toujours le court terme qui compte d’abord. On a peur des réactions des populations reléguées à la périphérie des grandes villes. D’après certains, ce serait une nouvelle fracture sociale avec le « spectre du retour des gilets jaunes » qui ont bloqué les ronds-points pour moins que ça.
— Objectivement, on essaie ici de nous convaincre qu’il faut des ZFE et on ne se préoccupe pas trop des missiles et des bombes qui pleuvent sur l’Ukraine et sur Gaza, avec tous les incendies que cela provoque. Est-ce qu’on a fait le bilan carbone de tout ça ?
Ce genre de remarque a le don d’énerver Élise. Jean-Bernard a tendance à procrastiner, les problèmes pour lui n’étant jamais suffisamment urgents pour qu’on cherche à les régler immédiatement.
— Ça n’a absolument rien à voir. Mais alors, rien à voir ! Moi, ce qui m’intéresse, c’est le sort de la planète. On doit la protéger !
Jean-Bernard fait mine de réfléchir puis lance :
— Il y a une certaine hypocrisie à répéter en boucle qu’on veut protéger la planète.
— Vraiment là, je ne te suis pas très bien… La planète est en danger, non ?
— Pas sûr… D’après les scientifiques, la planète a connu cinq extinctions, dont la dernière caractérisée par la fin des dinosaures il y a 66 millions d’années. Lors de ces cinq extinctions, la majorité des espèces ont disparu. Et pourtant, la planète est toujours là…
— Mais ce n’est pas une raison pour…
— Je m'explique : la planète continuera très bien sans nous ! Ce n’est pas la planète qui est en danger, mais l’espèce humaine si on s'obstine à agir comme nous le faisons. Donc, quand on affirme que l’on veut protéger la planète, c’est en fait notre espèce que l’on veut protéger – c’est ça l’hypocrisie ! –, parce qu’il faut que la planète continue à nous apporter sur un plateau les ressources dont on a besoin. Appelons un chat un chat ! Je pense que ce serait beaucoup plus parlant et efficace de faire des campagnes sur les risques d’extinction de l’espèce humaine plutôt que sur la protection de la planète. On serait vraiment dans le dur et on comprendrait davantage la situation…
Élise est déroutée par l’argumentaire de Jean-Bernard. Elle ferme les yeux, cherche une réponse, n’en trouve pas, soupire :
— Ce que tu dis n’est pas si idiot…
— Merci, et j’ajouterais que ce discours sur la protection de la planète est un peu trop européano-centré. Pour être parti en mission dans le monde entier, je m’en suis aperçu. C’est surtout l’Europe qui parle. Or, il y a 80 ans à peine, nous étions encore des États-voyous, alors il ne faut pas s’étonner d’être inaudible aujourd’hui.
— D’accord, d’accord…
Je ne peux plus l’arrêter, pense-t-elle.
Elle visualise cette boule bleue perdue dans le vide sidéral, indifférente au temps puisque le temps n’existe pas en tant que tel, sauf pour les humains qui ne l’ont inventé que dans le seul but d’y planter des balises afin de mieux se repérer lors de leur insignifiant parcours sur terre.
Je déraisonne, revenons à des choses sérieuses…
— Après toutes ces discussions, il est peut-être temps de chercher les œufs de Pâques dans le jardin…
— Complètement d’accord, rétorque Jean-Bernard, prêt à toutes les aventures. Et à son tour de déraisonner :
Je me demande s’il y aura toujours des œufs de Pâques après nous…
FIN
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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)
Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
21 avril 2025
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