Chroniques vingt-et-unièmes — Cynisme ou réalisme ? — 3 mars 2025
Cynisme ou réalisme ?
Leur rencontre n’était pas prévue. Mais au vu des derniers événements, ils se sont retrouvés au bistrot du Trocadéro, en « session extraordinaire », a plaisanté Jean-Bernard.
De quels événements s’agit-il ? Bien évidemment du « clash » survenu à la Maison-Blanche entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky.
Charles est rouge de colère :
— C’est fou ! Lâcher comme ça Zelensky en rase campagne ! J’en rigolais avant, mais Trump est réellement un agent de Moscou !
— Ne soyons pas excessifs, le reprend Ludovic. Il faut examiner avec lucidité la situation…
Il est vrai que les réactions s’accumulent. Les grands quotidiens américains dénoncent « l’alignement du président américain sur les positions de Vladimir Poutine », évoquant « le spectacle le plus honteux de l’histoire ».
Quant à l’Europe, à l’exception de Viktor Orban, les dirigeants sont « choqués », voire « ébranlés ».
Évidemment, à Moscou, on suit tout cet épisode de près, et on s’amuse même. Si le Kremlin n’a officiellement pas commenté, les médias s’en donnent à cœur joie. Pour eux, Donald Trump a « sévèrement réprimé le clown Zelensky ». Et d'ailleurs, l’ex-président Dmitri Medvedev, toujours très réactif, a écrit : « Pour la première fois, Trump a dit la vérité en face au clown cocaïné. Le porc insolent a finalement reçu une bonne baffe ».
Aussitôt, un sommet s’est tenu à Londres, les alliés de Kiev souhaitant « resserrer les rangs », notamment la France et le Royaume-Uni qui proposent une « trêve partielle ».
Toutes ces informations sont l'objet de la conversation de Charles, Ludovic et Jean-Bernard. Ce dernier, qui a plutôt laissé parler ses deux amis, comme lui officiers en retraite, s’exprime :
— Il y a en fait deux camps…
— Ça, tu l’as dit ! l’interrompt Charles. D’un côté les démocraties ; et de l’autre, ceux qui rêvent de les enterrer.
— D'accord, tu as raison, mais ce n’est pas mon propos. Quand je fais allusion à deux camps, c’est dans l’esprit de Donald Trump : d’une part, celui qui a déjà aidé l’Ukraine pour 300 milliards de dollars, qui trouve que les combats s’éternisent et qui aimerait bien mettre fin au conflit. Et d'autre part, celui des pays qui n’ont pas beaucoup aidé, qui causent beaucoup, et qui voudraient que les choses continuent en l’état…
— Quoi ?
— Oui, tu m’as très bien compris, poursuit Jean-Bernard. Il parle des États-Unis et de l’Europe. Mais en réalité, il exagère, car les États-Unis n’ont pas fourni 300 milliards de dollars mais 114, et l’Europe, en comptant les contributions de l’UE et de chaque pays, 135 milliards en tout.
— Il se trompe donc…
— C'est vrai, mais je me mets à la place des Américains. Cela fait maintenant plus de 100 ans qu’on les fait intervenir pour réinstaurer l’ordre en Europe, parce que nous ne sommes pas capables de le faire nous-mêmes. Je pense qu’on assiste chez eux à un certain ras-le-bol. Qu’ont-ils à tirer de ce conflit ?
— Mais la défense de la démocratie…, insiste Charles.
— La démocratie a bon dos. Il n’y a que les intérêts commerciaux qui priment en ce bas monde. Et je reviens sur la phrase de Trump à propos de l’Union européenne : pour lui, elle « a été conçue pour emmerder les États-Unis ». Tout est dit : les États-Unis ont toujours eu horreur d’un monde multilatéral. Ils ont toujours préféré négocier en tête à tête avec chaque pays plutôt qu’avec un ensemble. Après la guerre de 14, c’était déjà le but de Woodrow Wilson – très populaire en Europe, au demeurant – sous couvert de sa doctrine consistant à donner aux peuples « la liberté de disposer d’eux-mêmes ». Plus il y avait de pays, et plus ça l’arrangeait… C’est tellement mieux de faire des affaires avec un tout petit pays ! Tu vois : rien n’a vraiment changé…
— Holà, tu vas loin…
— Pas tant que ça. Et finalement, ce qui arrive, c’est ce qui pouvait nous arriver de meilleur. Il serait temps que l’Europe assure sa propre défense. Quand je pense que la plupart des États européens achètent leurs missiles, leurs canons, leurs chars et leurs avions de chasse aux États-Unis, alors que la France est le second marchand d’armes de la planète ! On pourrait y trouver notre bonheur dans tout cela…
— C’est cynique…
— Non, c’est du réalisme !
Ludovic intervient alors :
— Et j’insiste, il faut prendre du recul. Je reviens comme Jean-Bernard à la guerre de 14 : la France, l’Angleterre et la Russie ont volé au secours de la Serbie contre l’empire austro-hongrois, et je ne sais pas si, un siècle après, la Serbie nous en est spécialement reconnaissante. Qui aurait imaginé à l’époque un tel renversement d’alliances ?
— Je vois, vous êtes tous les deux contre moi, conclut Charles.
— Il ne s’agit pas de cela, Charles, mais de ne pas s’emballer. Je n’ai aucune amitié pour Poutine, mais j’écoutais il y a quelques jours Raphaël Glucksmann qui demandait « des gestes forts » contre la Russie. Il veut quoi ? La guerre ? Et je reprends l’exemple de la Serbie en 14. N’aurait-on pas dû réfléchir un peu ?
— Vous êtes défaitistes…
— Attendons le verdict de l’histoire…
Silence. Et la conversation se referme sur des avis opposés, comme il en est toujours sur les questions traitant de l’avenir du monde.
— Et si nous marchions ? propose Jean-Bernard. Il fait grand soleil…
Charles bougonne et se lève :
— Là, c’est sûr, nous serons d’accord…
FIN
https://gauthier-dambreville.blogspot.com
https://app.partager.io/publication/gd
Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)
Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
3 mars 2025
Commentaires
Enregistrer un commentaire