Chroniques vingt-et-unièmes — Parler d'autre chose — 10 février 2025
Parler d'autre chose
En quittant la salle de cinéma, Ludivine est abasourdie. Ce film pour elle est inracontable. Qu’on ne compte pas sur elle pour le faire ! Quentin s’exclame :
— On m’avait dit qu’il s’agissait d’une comédie musicale. C’est tout de même plus que ça !
Le long métrage Emilia Perez de Jacques Audiard cumule les nominations, aux Golden Globe, aux Césars, aux Oscars. Étonnant pour un scénario totalement décoiffant où il est question de parcours de transition de genre sur fond de narcotrafic et de corruption généralisée au Mexique. Encensé à peu près dans tous les festivals, il est toutefois rejeté par certains membres de la communauté LGBT+ qui le qualifient de « portrait profondément rétrograde d'une femme trans ». De son côté, la population mexicaine dans son ensemble n’y voit qu’une caricature de son pays alors que le réalisateur aurait pu, s'il avait voulu, mettre en avant toutes ses merveilles. Le quotidien espagnol El Pais, lui, le résume en « amalgame chargé de racisme, de transphobie et d’exotisme anti-latino ». Bon, d’accord. Mais Ludivine a follement aimé. Et on attend avec impatience que les narcotrafiquants se prononcent.
— Tu as raison, confirme-t-elle.
Elle a accepté cette sortie avec Quentin. Il y a des moments où il faut cultiver l’amitié, même si cette « amitié » se révèle trop insistante.
— Je ne sais pas si Donald Trump a apprécié, continue Quentin. Il vient de publier un décret pour supprimer les aides publiques à tous les traitements de transition des mineurs…
— Ne me parle pas de Donald Trump !
Oui, tous ces décrets. C’est une honte, se dit Ludivine qui ne décolère pas. Mais elle pense surtout à l’accord de Paris que Donald Trump a encore dénoncé, comme en 2017, et après que Joe Biden y ait de nouveau adhéré en 2021. La démocratie devient quelquefois erratique. « Pas surprenant », a commenté son père Xavier qui ne manque jamais selon elle une occasion de railler l’actualité, « l’accord de Paris a pu être conclu en 2015 parce que tous les pays signataires pouvaient s’y soustraire par simple préavis. Dans ces conditions, pourquoi se priver ? C’est comme s’ils avaient utilisé de l’encre sympathique. Il n’y a que la chaleur, autrement dit le réchauffement des relations internationales, qui peut faire réapparaître la signature ».
N’importe quoi… a-t-elle réagi. Et il a ajouté : « Je ne suis pas du tout étonné pour un accord gravé dans le sable ».
Et Trump veut aller sur Mars ! songe-t-elle encore. Il a dit de sa voix forte et la mèche batailleuse : « Nous poursuivrons notre destinée manifeste dans les étoiles… » Une déclaration qui n’a pu que réconforter Elon Musk.
Alors qu’il y a tant à faire sur la Terre…
— Tu penses à quoi, lui dit Quentin, maintenant qu’ils marchent.
— À quoi je pense ? (Une autre idée amère lui vient.) Je pense à la Belgique qui se sert de moteurs d’avions fonctionnant au kérosène ou au gaz pour produire de l’électricité quand la demande est trop importante ! On est où, là ?
Le souffle des réacteurs est ainsi utilisé pour actionner des turbines, une approche assez étrange de l’éolien.
— Ah bon ?
— Oui, et je pense aussi aux surfaces végétales brûlées au Brésil. Il y a eu 79 % d’augmentation en un an !
Elle imagine la Terre comme le vaisseau commun de l’humanité. Un plancher de 30 kilomètres dans sa profondeur maximale (la croûte) sur un magma instable, et en guise de coque une atmosphère de même hauteur protégeant du vide, le tout rapporté à un rayon de 6 000 kilomètres : l’épaisseur du trait. Un vaisseau qui file, entraîné par le Système solaire tout entier, dans une immensité glacée où rien ne peut laisser présumer qu’il existe un semblant de vie.
— Et si on parlait d’autre chose ? répond Quentin. Il y a encore des films ce soir. Tu connais Bob Dylan ?
— Vaguement… Mon grand-père en était fou… Mais pour voir Timothée Chalamet, je veux bien. Il est trop cool !
FIN
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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)
Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
10 février 2025
"Parler d'autre chose"... Bien vu! Pendant que Musk fait son coup d'état ploutocratique (avec ses "muskrats)", pendant que Poutine est sur le point d'emporter la mise en Ukraine et que l'Union européenne et ses états membres encore progressistes est attaquée à l'Est, à l'Ouest et de l'intérieur , c'est vrai que l'envie nous prend de parler d'autre chose. A moins que...
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