Chroniques vingt-et-unièmes — Le gros dos — 6 janvier 2025


 Le gros dos 


  Tout en beurrant avec soin une tartine, Charles commente les derniers événements de la guerre en Ukraine :

—  Ça s’éternise. Poutine n’a pas exclu le 21 novembre de frapper les installations militaires des pays qui fournissent des missiles de longue portée à l’Ukraine, en l’occurrence les États-Unis et le Royaume-Uni. Vous vous souvenez ? Il a déclaré aussi que le conflit était maintenant devenu « mondial ». Est-ce parce que des soldats nord-coréens y sont engagés ? Ça, c’était lors d’une allocution télévisée évidemment adressée à la population russe. C’est la manœuvre classique pour un régime autoritaire : il faut montrer que le pays est menacé pour ressouder le peuple, une situation qui permet toutes les mesures d’exception. Mais je vois mal comment la Russie pourrait s’attaquer à un État d’Occident alors qu’elle fait appel à des contingents extérieurs pour renforcer ses troupes.

—  Et le plus intéressant, ajoute Ludovic qui achève son croissant, c’est que si on suit les propos de Poutine, on est passé directement de « l’Opération militaire spéciale » au « conflit mondial », sans jamais être en « guerre ».

Jean-Bernard repose sa tasse de café tout en jetant un regard rapide autour de lui dans le bistrot du Trocadéro. Les tables sont clairsemées, ce n’est pas la foule des grands jours. Mais il n’est que huit heures du matin et l’air, dehors, est glacé, ce qui n’incite pas à la balade.

—  C’est toute la question de la sémantique, explique-t-il, les mots ont leur importance. Il s'agit de dramatiser les événements à l’extérieur parce qu’à l’intérieur la situation n’est pas des plus satisfaisante. En Russie, le taux d’inflation avoisine les 20 % et le rouble n’arrête pas de se dévaluer. On commence aussi à manquer de produits de première nécessité. Il faut dire que l’économie entière est maintenant tournée vers la guerre. Le fameux « complexe militaro-industriel ». On l’a toujours connu du temps de l’URSS, il n’est pas près de disparaître celui-là !

—  « Conflit mondial »… quand j’y pense… des fanfaronnades, tout ça ! ajoute Ludovic.

—  Pas sûr… Je me souviens de Noël 2021. Juste avant, Poutine avait exprimé ses exigences sur l’Ukraine vis-à-vis de l’Occident. Nous étions tous contents parce qu’il promettait de ne pas attaquer l’Ukraine durant les fêtes. C’est vrai que la trêve des confiseurs battait son plein et que chacun préparait ses cadeaux. Et Poutine a tenu sa promesse : il n’a pas attaqué durant les fêtes. Moi, je me sentais mal, je me disais que le mois de janvier serait difficile. Mais je me suis un peu trompé : Poutine a attaqué le 24 février…

—  Presque trois ans, déjà ! Mais à mon avis il n’avait pas prévu ce qui s’est passé en Syrie.

—  Effet domino ! continue Jean-Bernard. Attaque du 7 octobre ; riposte d’Israël sur Gaza ; entrée en guerre du Hezbollah ; riposte d’Israël sur le Hezbollah. Ensuite, le groupe HTS, voyant la Russie occupée ailleurs et le Hezbollah considérablement affaibli, en profite pour faire sauter le régime de Bachar el-Assad. Israël détruit aussitôt la quasi-totalité des stocks d’armes et de matériels syriens, et surtout sa défense antiaérienne, ce qui lui offre un boulevard vers l’Iran. Ce n’est pas fini !

Charles, qui a écouté le dialogue, coince une cigarette entre ses lèvres en prévision de la sortie. Il appelle le garçon pour régler l’addition – c’est son tour – puis dit :

—  Et Trump dans tout ça, vous en pensez quoi ? 

Ludovic donne sa position :

—  Quelquefois, je me demande si le danger ne peut pas venir d’ailleurs… Dans ses vœux, Trump n’a pas mâché ses mots. Il persiste à vouloir acheter le Groenland et n’exclut pas la force ; il considère le Canada comme le 51e État de l’Union en assimilant Trudeau à un gouverneur ; et il menace de remettre la main sur le canal de Panama ! L’Amérique aux Américains, quoi !

—  Alors, nous, entre Poutine et Trump, qu’est-ce qu’on devient ? lâche Jean-Bernard, découragé.

—  Le gros dos, comme d’habitude, répond Charles en se levant. Qu’il s’agisse de politique intérieure ou extérieure, nous n’avons que ça à faire…


FIN


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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

6 janvier 2025

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