Chroniques vingt-et-unièmes — Einstein avait raison — 2 décembre 2024


 Einstein avait raison 


  —  Einstein avait encore raison. Il  a toujours raison, en fait…

C’est la pause de midi. Les deux professeurs de Jussieu sont assis sur un banc du Jardin des plantes. Le  vent est frais, conforme à la normale pour cette époque de l’année, mais heureusement le soleil illumine les allées et les arbres qui conservent de rares feuilles. Louis croque dans son sandwich tandis que Marcus semble hésitant, et peut-être rêveur après avoir évoqué le nom du célèbre physicien allemand. Pour tous les chercheurs en astronomie, l’homme est une référence, une icône, entouré même d’un mystère : comment, en ce début du vingtième siècle, a-t-il pu avancer toutes ces théories qu’il n’avait aucun moyen de prouver avec les outils dont il disposait alors. S’agit-il de prescience ? D’un sixième sens ? Pendant quelques secondes où ses réflexes scientifiques le lâchent, Marcus se plaît à imaginer Einstein connecté, telle une antenne,  aux grandes énigmes de la vie, seul à capter des ondes circulant à une vitesse instantanée, plus rapide que celle de la lumière, qu’en principe on ne peut dépasser selon ses propres équations, une contradiction de plus dans ce monde qui en renferme tant. Un être élu, par on ne sait quelle alchimie, pour tenter une explication des forces qui régissent l’Univers avec toute la rigueur dont il était capable. Quand Marcus dit qu’Einstein avait raison, il fait allusion aux travaux et résultats issus d’une collaboration internationale de 900 chercheurs autour d’un outil installé sur un télescope en Arizona, le DESI (signifiant en français « Instrument spectrographique pour l’énergie noire ») suffisamment perfectionné pour suivre à la trace 6 millions de galaxies. Car si, depuis la formulation de la relativité générale, on a pu tant bien que mal vérifier certains de ses éléments au niveau des distances du Système solaire, il en est tout autrement à l’échelle de l’Univers, dans ces espaces incommensurables qui séparent les galaxies entre elles. La finalité de cette collaboration est justement d’y parvenir. Et en analysant la lumière de millions de galaxies, on y est parvenu – si le professeur Marcus s’en tient à un article du CNRS. Les scientifiques utilisant le DESI auraient validé la théorie de la relativité générale d’Einstein sur les 11 derniers milliards d’années de l’Univers, en y intégrant ce que l’on cherche à définir : « l’énergie noire ». Sachant que l’âge de l’Univers est estimé à 13,8 milliards, ce n’est pas si mal.

—  Encore 2,7 milliards… On est près du but…, murmure Marcus.

Car l’enjeu est de taille. On constate que l’expansion de l’Univers est de plus en plus rapide. Elle « accélère », c'est-à-dire que l’écart entre les galaxies grandit régulièrement, ce qui n’est pas conforme à la théorie d’Einstein. Donc, soit le célèbre physicien s’est trompé, soit il manque un petit « quelque chose » pouvant expliquer cette accélération, et ce petit quelque chose pour parfaire cette théorie, c’est ce qui a été baptisé « énergie noire », ou « énergie sombre » pour certains, que l’on essaie de traquer avec les télescopes les plus puissants. En intégrant cette énergie noire, laquelle semble « se diluer » au fil du temps, la théorie d’Einstein a ainsi été validée sur 11 milliards d’années-lumière.

—  Mais tout cela ne nous dit pas si le RN va voter la motion de censure…

—  Tu t’intéresses encore à ces choses-là ?

—  Mais je plaisante, répond Louis, empli d’un rire qui secoue ses larges épaules. D’ailleurs, on ne devrait pas parler de ça un 2 décembre. Le 2 décembre, c’est le jour des coups d’État. Ou des victoires, en réfléchissant bien – je pense là à Austerlitz… Mais tout de même… on peut constater que l’expansion de la sphère politique accélère.

—  Comment ça ?

— L’écart entre les partis grandit… Les distances deviennent même infranchissables… Quelqu’un devrait se pencher sur la question…

—  On ne peut pas être sérieux une minute, conclut Marcus en se levant du banc. Moi, je préfère m’attacher à la réalité et non à ces petites querelles terrestres. Dépêche-toi, les cours vont recommencer !

Sans attendre son collègue et ami, Marcus reprend le chemin de Jussieu en grognant, tourne son regard vers le ciel troublé par aucun nuage, sort un papier et un crayon de sa poche, esquisse quelques notes tout en marchant.

Motion de censure ou pas, Einstein avait raison…


FIN


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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

2 décembre 2024

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