Chroniques vingt-et-unièmes — L'Himalaya — 16 décembre 2024


 L'Himalaya 


  La censure du gouvernement a mis Emmanuel Macron dans une colère noire au point de lui faire passer une nuit blanche. Le lendemain, il a prononcé son allocution aux Français et les partis ont eu du bleu à l’âme. Alors que certains riaient jaune, des lignes rouges se sont aussitôt dressées. Mais au terme d’une semaine de tergiversations, il  a fini par nommer François Bayrou, un vieux de la vieille, favori au début et qui, craignant sur la fin d’être marron, a dû faire pression pour imposer sa candidature. Chez LFI, on est vert de rage et on est prêt encore à voter la censure. Et il y a la peur désormais de sombrer dans l’ultra-violence politique à l’image du film Orange mécanique.

C’est ainsi que Xavier a résumé la situation à Sébastien.

—  Pas mal, répond ce dernier, mais l’heure n’est pas à la plaisanterie, elle est même grave. En fait, la boucle est bouclée : Bayrou qui a été le premier soutien de Macron est maintenant le nouveau Premier ministre.

—  Ouais, et il veut qu’on emprunte les « chemins de la réconciliation ». Il a cité Henri IV, né à Pau un 13 décembre, qui a réconcilié protestants et catholiques… C’est vrai que lui-même est maire de Pau et qu’il a beaucoup écrit sur le personnage. Cependant, quelque chose me gêne : bien sûr, il a été nommé le 13 décembre, mais ça n’en reste pas moins un vendredi 13. Il ne faudrait pas un autre Ravaillac…

—  Pas de catastrophisme !

—  Et ce qui est dommage, c’est pour le Plan. Il était tout de même Haut Commissaire…

—  Sur ce sujet, je ne ferai aucun commentaire…

—  Il a aussi été question d’Himalaya… (Xavier sait que Sébastien, pourtant homme de gauche, a toujours eu, inexplicablement, un faible pour Bayrou).

—  Laisse tomber…

—  Et Moody’s a dégradé la France : Aa3 ! C’est le début de la fin…

—  Ce ne sont pas les financiers qui vont faire la loi…

Ils ont préféré une balade dans la forêt toute proche plutôt que leur traditionnelle partie d’échecs. Ils  ne se sont pas vus depuis plus d’un mois et reprennent quelques événements de la période, dont le dernier, la nomination du nouveau Premier ministre.

—  Je reste pessimiste, continue Xavier. Bayrou n’a pas de baguette magique. Dans certains pays que je ne citerai pas, avec un tel chaos, il y a longtemps qu’on aurait eu un coup d’État. Heureusement, les institutions en France sont solides, mais jusqu’à quand ? Le risque est d’assister à une libanisation de la vie politique française.

—  Qu’est-ce que tu veux dire ?

—  Bah, au Liban, il y a trois blocs : un tiers de chrétiens, un tiers de sunnites et un tiers de chiites. Tu sais qu’historiquement les sunnites ne peuvent pas s’associer avec des chiites, ça dure depuis la mort du Prophète. Et on voit mal comment les chrétiens s’allieraient avec les musulmans. Donc, situation bloquée, pas de majorité. J’espère qu’on ne va pas connaître la même dégringolade que le Liban en France.

—  Évitons les comparaisons… En parlant de dégringolade, le Hard Rock Cafe ferme ses boutiques les unes après les autres, la dernière en date sur les Champs-Élysées. Ce serait, paraît-il, parce que les jeunes générations ne seraient plus fans de rock…

—  Depuis longtemps déjà… (Avec une branche qui lui sert de canne, Xavier soulève des feuilles, croyant avoir aperçu un cèpe.) Peut-être qu’un Hard Rap Cafe aurait aujourd’hui plus de succès.

Grimace de Sébastien.

—  Malheureusement, partout ça dégringole. Regarde ce qui se passe avec le fret SNCF : on le sacrifie, on l’ouvre à la concurrence.

—  Excuse-moi, mais c’est tout l’inverse. On l'a peu évoqué mais la France a été épinglée par Bruxelles parce qu’elle a accordé plus de 5 milliards de subventions indues à la filiale SNCF de fret, ce qui est une entorse aux règles de la concurrence. La filiale était sommée de rembourser, sauf qu’elle n’en avait pas les moyens : elle serait tombée en faillite. L’arrangement qu’on  a trouvé avec Bruxelles pour la sauver est de l’ouvrir à la concurrence.

—  Tu expliqueras ça aux cheminots…, s’esclaffe Sébastien.

—  Mais pour en revenir à la situation actuelle, peut-être que cette instabilité aura un effet positif.

—  Ah bon ? Je me demande bien laquelle !

—  On a l’habitude d’attendre tout de l’État. Peut-être qu’avec un État instable, donc faible, on va éprouver le besoin de se reprendre en main, de ne plus rien attendre de lui, sur le modèle des Américains. Je parle surtout des États de l’Ouest. Là-bas, moins l’État s’occupe des gens, moins il intervient, mieux on se porte parce que les habitants n’attendent rien de lui. Ils veulent surtout qu’il ne se mêle pas de leurs affaires. Ils estiment que c’est à eux de construire leur vie et d’assurer leurs vieux jours. Je me rappelle ce que disaient mes parents à propos de la Quatrième République : « Les gouvernements tombaient les uns après les autres et ça n'allait pas plus mal ». C’est vrai que sous la Quatrième, on a connu vingt-quatre gouvernements en douze ans, ce qui donne en moyenne un peu plus de six mois par gouvernement. Et pourtant, le taux de croissance était d'environ 4 % par an. C’étaient les Trente Glorieuses…

Sébastien secoue énergétiquement la tête.

—  Mais il fallait tout rebâtir !

—  Tu as raison, c'est aujourd’hui une situation différente. Même avec les dégâts des Gilets jaunes, des agriculteurs ou des émeutiers en Martinique ou en Nouvelle-Calédonie… Et je ne parle pas de Mayotte avec le passage du cyclone…

—  Ne mélange pas tout… Moi, ce qui me gêne, c’est encore l’échec de la COP29. Je me demande à quel moment on prendra la mesure du problème…

C’est la bonne question, pense Xavier, mais le chemin va être long… Pour l’édition qui vient de se terminer, les pays du Sud ont exigé d’emblée que les pays riches contribuent pour eux à hauteur de 1 000 milliards de dollars par an afin de lutter contre les effets du réchauffement climatique. Sachant que même si la Chine, les Émirats et le Qatar ne cherchent pas à recevoir une part de cette somme, ils ne se considèrent pas non plus comme des pays riches, pas assez du moins pour contribuer. Finalement, le communiqué conclusif « invite » les pays riches à apporter 300 milliards de dollars par an sous forme de fonds publics ou privés, ou par l’instauration de taxes mondiales. L’UE, de son côté, réclamait un calendrier pour l’abandon des énergies fossiles, mais l’Arabie a opposé son veto. En fait, la position de ce pays est simple : notre production répond à la demande et c’est vous, pays occidentaux, qui consommez. Réduisez votre consommation et nous réduirons notre production…

—  Un dialogue de sourds…, continue Sébastien.

—  Et ce sont les États africains qui ont protesté le plus, explique Xavier. Chez certains, comme en Centrafrique, les subventions d’organismes ou de pays divers servent à rémunérer les fonctionnaires. C’est précieux pour un État lorsqu’il ne trouve pas de prêteurs. En France, nous n’avons pas ce problème. Un tiers des dépenses de l’État est financé par l’emprunt, parce qu’il existe encore des  prêteurs qui acceptent de nous faire confiance, ce qui signifie que le salaire d’un fonctionnaire est financé pour un tiers par l’emprunt.

—  Tu voudrais supprimer les fonctionnaires ?

—  Loin de là, mais en France, on a fait le choix d’une fonction publique pléthorique et mal payée. 

—  Il y aurait pourtant une solution, rétorque Sébastien, les yeux brillants. J’ai lu que d’ici 15 ans, 9 000 milliards d’euros vont changer de main par l’héritage. Eh oui, les boomers arrivent à leur fin… Il suffit de se servir au passage… on résorbera très facilement la dette de cette manière.

—  En théorie, on n’a pas besoin de se servir davantage : rien qu’avec un taux moyen de succession de 30 %, on rembourse la dette qui est de 3 200 milliards !

—  C’est vrai ce que tu dis…

—  Sauf que d’ici 15 ans, la dette ne sera plus à 3 000 milliards mais à 6 000 milliards. En fait, c’est l’histoire sans fin…

—  Tu es décourageant… Parlons d'autre chose. Nicolas Bedos, qu’en penses-tu ?

—  Ce que j’en pense ? (Xavier réfléchit un instant.) Gérard Depardieu doit être terrorisé. 

—  Ah oui ?

—  Nicolas Bedos a pris un an de prison, dont six mois ferme, pour des gestes déplacés dans une boîte de nuit alors qu’il était ivre. À ce compte-là, Depardieu va prendre perpétuité quand il va être jugé !

—  Pour lui l’Himalaya…


FIN


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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

16 décembre 2024

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