Chroniques vingt-et-unièmes — Encore un barrage contre le Pacifique — 9 décembre 2024


 Encore un barrage contre le Pacifique 


  Les quatre anciens du lycée se sont revus, c’est devenu une habitude maintenant, et la nouvelle rencontre dans le café de Saint-Germain, le lieu de ralliement, s’est de nouveau révélée sympathique. On a légèrement évoqué la réouverture de Notre-Dame en présence de quarante chefs d’État, ainsi que la chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie, mais surtout parlé avec Magali, magistrate, des difficultés de la justice, laquelle Magali, intarissable, s’est livrée durant un bon quart d’heure à un résumé élogieux du dernier livre de Marc Trévidic, Huitième section, qu’elle  a dévoré, un roman bourré d’anecdotes judiciaires véridiques, utilisant un procédé narratif intéressant qui nous plonge dans les soutes de cette section du parquet de Paris disparue en 1999 – à laquelle l’auteur, ex-juge d’instruction au pôle antiterroriste de Paris, a également appartenu –, mais aussi dans les méandres des mœurs domestiques marocaines. Alexandre, économiste, a dû finalement l’interrompre pour s’affoler des conséquences financières pour la France de la censure du gouvernement Barnier, notamment le spread sur les marchés qui ne cesse de grandir avec l’Allemagne, notre pays empruntant maintenant au même taux que la Grèce. Dans la foulée, Thomas, l’historien, a esquissé une comparaison avec la Quatrième République, alors que  Nassim, lui, s’est montré peu loquace, tant les sujets qu’il voulait aborder étaient nombreux. En réalité, il ne savait pas par quel bout commencer. Car en matière d’intelligence artificielle, sa spécialité, tout se précipite.

Elon Musk, d’abord, qui n’arrête pas de faire la une des médias, surtout depuis sa promotion aux côtés de Donald Trump qu’il  a d’ailleurs accompagné pour la réouverture de Notre-Dame. Outre le lancement récent du robot Olympus, assistant domestique capable de garder un enfant ou un chien et de servir le café, il y a le succès en bourse de la société xAI qu’il a fondée en juillet 2023 pour concurrencer OpenAI. Créée avec une levée de fonds de 5 milliards de dollars, elle  est à présent valorisée huit fois plus. L’objectif d’Elon Musk est de construire le superordinateur le plus puissant au monde pour que l’IA y exprime toute sa substance libertarienne. Mais OPenAI n’a pas dit son dernier mot. Afin de rivaliser avec Google, l’entreprise va concevoir son propre moteur de recherche à base d’IA, o1, « nouveau modèle de langage spécialisé dans les raisonnements complexes », bientôt disponible sur abonnement dans ChatGPT, avec toutefois l’inconvénient de présenter selon les experts un « risque moyen d'aider au développement d'armes biologiques, chimiques, radiologiques et nucléaires ». Rassurant !

Mais s’il n’y avait que ça… Nassim songe à toute cette série d’événements concernant l’IA, dont les médias ont peu parlé, mais qui montrent que celle-ci s’immisce toujours davantage dans chaque recoin de la vie de tous les jours.

Ainsi, dans le domaine culturel, la nomination des Beatles aux Grammy Awards pour le titre « Now and Then », retrouvé dans des archives et finalisé avec le concours de l’IA ; ou une toile représentant le mathématicien Alan Turing réalisée par un IA et mise en vente entre 120 000 et 180 000 euros ; de même les acteurs Tom Hanks et Robin Wright (rôles principaux du film Forest Gump) rajeunis en temps réel dans un film en cours de tournage par une technique à base d'IA ; ou encore un robot dirigeant l’orchestre symphonique de Dresde lors de deux concerts. Des auteurs et des artistes tirent d’ailleurs la sonnette d’alarme. Avec le pillage d’œuvres existantes pour en produire de nouvelles, selon le procédé de l’IA générative, que va-t-il leur rester ? 

Pour l’aspect scientifique, on note la découverte grâce à l’IA de la manière dont un spermatozoïde et un ovule se connectent pendant la fécondation ; sa contribution pour percer le langage des animaux en mettant au point un « alphabet phonétique inter-espèces » ; et surtout sa consécration par les Nobel de physique et de chimie de cette année, le premier  accordé à John Hopfield et Geoffrey Hinton pour leurs travaux sur « l’apprentissage automatique » ayant amené l’éclosion du deeplearning, le second à Demis Hassabis et John Jumper pour avoir élaboré au sein de l’entreprise Deepmind un logiciel IA permettant de « trouver la forme tridimensionnelle prise par les protéines en ne connaissant que la succession des vingt acides aminés qui les constituent », ce qui pour les initiés représentait auparavant un casse-tête complet. 

En matière militaire, on constate tous les jours la montée en puissance des armes autonomes (drones, robots-sentinelles, chars…) qui investissent progressivement les champs de bataille. 

Sans oublier dans l’industrie et les services, l’opérateur Waymo, le leader des robots-taxis aux États-Unis, présent à Los Angeles, San Francisco et Phoenix notamment, qui se lancent à l’assaut d’autres villes en levant de façon très réussie 5,6 milliards de dollars ; ainsi qu’une nouvelle technique utilisant l’IA et facilitant avec une caméra le repérage des mineurs (utile chez les buralistes) ; mais aussi l’entreprise britannique de télécommunications O2 qui s’appuie sur une IA nommée Daisy pour que les escrocs téléphoniques restent en ligne le plus longtemps possible. 

Et, plus grave, le suicide d’un adolescent de 14 ans aux États-Unis après une série de discussions sur le sujet avec un agent conversationnel, lequel ne l’a pas dissuadé de passer à l’acte. Un parmi tous ces « bots », c'est-à-dire ces agents logiciels intelligents qui trustent les échanges sur les réseaux sociaux… 

La liste n'est pas exhaustive. C’est une marée montante, sans reflux à venir. Face à cela, face à toutes ces innovations venant d’Amérique ou de Chine, l’Europe régule à tout va, car c’est chez elle une seconde nature, ce qui évoque pour Nassim Un barrage contre le Pacifique de Duras (« Le Pacifique et ses crabes traversèrent le barrage comme s'il avait été une feuille de papier à cigarettes… »). 

Mais certains acteurs, comme les banques françaises, commencent à s’inquiéter du poids de la réglementation et d’un « risque de décrochage », notamment vis-à-vis des États-Unis, à cause de l’« IA Act », un sujet qui aurait sans doute intéressé Alexandre.

Cependant, comme dans bien d’autres domaines,  il faut un gouvernement pour agir, se dit Nassim. Mais sans Premier ministre… Des noms circulent. A-t-on pensé à une IA ?


FIN


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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

9 décembre 2024

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