Chroniques vingt-et-unièmes — Quelles soupapes de sécurité ? — 25 novembre 2024


 Quelles soupapes de sécurité ? 


  —  Ça va exploser quand à ton avis ?

Émeline relève la tête, elle est plongée dans Houris de Kamel Daoud, dernier Goncourt – où l’on parle justement d’une explosion, celle de la société algérienne des années 1990, de la guerre civile qu'il est interdit d'évoquer –, et trouve désagréable d’être dérangée en pleine lecture. Une explosion, ici ? Du gouvernement parce que les risques de motion de censure se rapprochent à grands pas ? Ce n’est pas un scoop, on en cause depuis des semaines. Elle demande tout de même :

—  Qu’est-ce qui va exploser ?

—  Mais l’Islande ! Ça  fait des mois que les éruptions se succèdent, et on  a même l’impression qu’il y a accélération. Ce week-end, c’est le Blue Lagoon qui a été touché, le parking est sous la lave.

Xavier fait allusion à la récente irruption près de Sundhnúkagígar, un nom imprononçable, tout comme Eyjafjallajökull, siège de l’éruption qui paralysa en 2010 tout le trafic aérien de l’Europe durant plusieurs jours. Heureusement, Blue Lagoon, c’est un nom plus acceptable. Ils s’y sont baignés lors d’un séjour sur l’île. Une piscine artificielle à l’air libre alimentée par une eau frôlant les 40 °C issue d’une centrale géothermique qui va chercher à 2 000 mètres de profondeur une eau de mer sous-marine proche, elle, des 240 °C. Cette piscine est avant tout touristique et participe à la réputation de l’Islande. La couleur de l’eau, spectaculaire, variant du vert au bleu en passant par l’émeraude, est due à des algues microscopiques et des cristaux de silicate. Ce qui vient de se produire était prévisible : une eau si chaude à cet endroit provient nécessairement d’une intense activité volcanique souterraine. 

Émeline pense utile d’expliquer :

—  Je ne crois pas que l’Islande va exploser, comme tu dis. Les éruptions là-bas  sont justement des soupapes de sécurité pour éviter que tout explose.

Et elle se demande en même temps quelles sont les soupapes de sécurité du gouvernement actuel. On évoque un « shutdown » à l’américaine si la France n’a pas de budget à la suite d’une motion de censure, mais heureusement la présidente de l’Assemblée a rassuré son monde : le gouvernement pourra présenter à partir du 1er janvier une loi spéciale pour prélever les impôts et reconduire les dépenses par décret. Donc, tout va bien, c’est ça la soupape de sécurité.

Xavier n’insiste pas :

—  Si tu es sûre de toi… Et pour la COP de Bakou, tu penses que ça s’est bien passé ? Il y a eu beaucoup de coups bas à Bakou…

—  Tu n’as pas fini tes jeux de mots idiots ? Je pourrais peut-être continuer à lire Kamel Daoud…

Les COP qui se succèdent sont le sujet favori de Xavier. La France pousse au succès de ces conférences, mais les obstacles sont nombreux. Face à Émeline qui vient de reprendre la lecture de son roman, il dit :

—  Nous vivons une grande œuvre rédemptrice. C’est l’idée que la France doit se mettre à l’arrêt et économiser ainsi 0,8 % des émissions de gaz à effet de serre de la planète.  En compensation de toute la pollution qu’elle a pu occasionner dans le passé. Et pour les mêmes raisons, elle doit accueillir tous les migrants issus de ses anciennes colonies, là aussi en réparation de toutes les exactions qu’elle a pu y commettre. Seulement, ce discours ne trouve pas forcément un écho favorable. Qui a envie d’abandonner une part de son bien-être, de son confort, de son niveau de vie pour réduire sa consommation d’énergie et laisser une petite place à ceux qui veulent simplement se poser sur notre sol pour y chercher un peu de repos ? On va donc inéluctablement vers des crispations, et elles sont déjà bien apparentes, avec une montée des voix de ceux qui rejettent ces injonctions, à tort ou à raison.

—  C’est un cours de politique que tu me fais ? Là, vois-tu, je suis dans les années 1990 en Algérie avec Kamel Daoud !

—  Je ne pense pas que l’époque était meilleure… Mais si tu souhaites parler d’autre chose… Sais-tu qu’aujourd’hui on fête la Sainte-Catherine ?

Émeline éclate de rire.

—  Sainte-Catherine ? Il y a bien longtemps que ça ne se fête plus ! 

—  Je te rejoins. En des temps très très anciens, on fêtait la Sainte-Catherine le 25 novembre. Ce jour-là, les jeunes filles qui n'étaient toujours pas mariées à l'âge de 25 ans portaient un chapeau vert, le plus original possible… Certaines y mettaient même de la dentelle rose ! Mais qui s'en souvient encore ?

—  Et je suis bien contente qu’elles ne soient plus mariées à 25 ans ! Je préfère qu’elles prennent le temps de réfléchir. Avec tous ces féminicides et ces horreurs qu’on entend dans la presse… !

—  Oui, et je me demande quelle sera la soupape de sécurité…


FIN


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Auteur chez L'Harmattan de VarIAtions (IA : le puzzle de notre futur s'assemble)

Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

25 novembre 2024

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