Chroniques vingt-et-unièmes — Des chemins d’affrontement — 21 octobre 2024


 Des chemins d’affrontement 


  La rentrée littéraire.

—  Les amis, pour cette première séance après les congés, je vous propose de ne pas aborder le terrain politique. On en a suffisamment entendu parler cet été.

Ludivine sait que lorsque le professeur Marcus utilise l’expression « les amis », cela n’augure rien de bon. Mais elle aime la provocation.

—  Tu veux nous censurer ?

—  Tout de suite les grands mots ! Je veux simplement éviter de nous égarer sur des chemins d’affrontement. Je connais vos positions à toutes et à tous…

—  Ce n’est pas parce que tu connais nos positions qu’on ne doit pas s’exprimer, renchérit Elsa. C’est ça ta conception du débat public ?

Marcus essaie de temporiser :

—  Ici, c’est un cercle privé, le Liber Circulo, je vous rappelle. Nous ne sommes pas à l’Assemblée. Il y a la rentrée littéraire qui se profile et c'est notre sujet de ce soir…

—  Rentrée littéraire ou pas, on ne peut pas se taire, insiste Ludivine. Il y a quand même depuis la dissolution un déni de démocratie dans ce pays. La gauche arrive en tête aux élections et c’est la droite qui gouverne…

—  Et que proposes-tu ? demande soudain Louis qui vient de lever les yeux au ciel.

La réponse de Ludivine fuse aussitôt :

—  La démocratie représentative a été vidée de son contenu, elle est morte ! Ce qu’il nous faut maintenant, c’est la démocratie participative !

Louis est pris d’un rire sardonique et toute son énorme masse se secoue. Puis il explique :

—  La démocratie participative ? Mais c’est du réchauffé ! Lénine voulait l’instaurer. Conseil de soviets à tous les étages ! Toutes les décisions étaient censées partir du bas pour s’imposer en haut. Mais par un étrange renversement de l’histoire, c’est l’inverse qui s’est produit : les exigences du haut se sont imposées en bas, les conseils de soviets ont fonctionné comme des chambres d’enregistrement. C’est ce qu’on a appelé le « centralisme démocratique » et on sait ce que cela a donné…

—  Tu fais des raccourcis trompeurs, lance alors Damien qui écoutait jusque-là. La situation d’aujourd’hui est totalement différente de ce qu’elle était lors de la révolution d’octobre.

—  Coup d’État d’octobre…

—  Pardon ?

Louis reprend doucement :

—  Il y a bien eu une révolution en février 1917, Damien, mais en octobre, c’était un coup d’État organisé par une bande de bolcheviques menés par Lénine et Trotski pour abattre le gouvernement Kerenski. Leur première décision a été de supprimer toutes les élections à venir au nom de la « dictature du prolétariat »…

—  Quoi, tu oses…

—  Allons… les amis, intervient Marcus. J’ai dit que je voulais éviter de nous égarer sur des chemins d’affrontement…

—  Je crois que c’est fait, l’affrontement a eu lieu, soupire Kevin qui paraissait assoupi et qui en tant que professeur de littérature aimerait qu'on en revienne à sa spécialité. On peut maintenant passer à l’ordre du jour. Que pensez-vous des livres sélectionnés pour le Goncourt ?

Un autre affrontement en perspective, se dit Marcus.


FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

21 octobre 2024

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