Chroniques vingt-et-unièmes — Réfléchissons — 2 septembre 2024
Réfléchissons
— Rien ne va plus ! soupire le professeur Marcus.
— Qu’est-ce qui ne va plus ? La politique ? demande Louis attablé avec son collègue à la cafeteria de Jussieu, ouverte seulement pour les enseignants.
— Pire : ITER ! On annonce huit ans de retard et des milliards de surcoûts pour la première production de plasma. Ce devait être en 2025, mais ce sera en 2033. Tu te rends compte !
— Et pourquoi ?
— Des pièces défectueuses, paraît-il… On parle de déformation de certains éléments, ce qui a obligé à démonter une partie du tokamak qui permet le confinement magnétique… Moi, je vois une tout autre raison : à chaque fois qu’on déverse de l’argent gouvernemental sur un projet – et qui plus est de l’argent venant d’un ensemble de pays, – ce sont toujours les mêmes dérives. L’inertie administrative, la lenteur des décisions… liées au consensus à tout prix. Pendant ce temps, des start-up mettent la gomme un peu partout et elles ont de bonnes chances de produire de l’électricité bien avant ITER… Et comme d’habitude, sur la trentaine qui travaillent sur le sujet dans le monde, plus de vingt sont américaines !
Louis avale son café d’un trait. Marcus place de grands espoirs dans la production d’électricité à partir de l’énergie fournie par la fusion de l’hydrogène. Lui pense qu’ils auront quitté les douceurs terrestres bien avant que cette technologie ne soit opérationnelle. On en parle depuis si longtemps… Il interrompt son ami :
— Ne te prends pas la tête avec ça. Est-ce que tu sais que le plus important collisionneur de la planète, qu’on appelle le « Long Hadron Collider » en anglais, et qui est installé sur la frontière franco-suisse, sera en fin de vie en 2039 ?
— Pas du tout… mais c’est catastrophique !
— Attends… (Décidément, Marcus ne s’est pas levé du bon pied, songe Louis) Il va être remplacé… Son successeur fera 91 kilomètres de long, 29 kilomètres de diamètre et passera à 200 mètres de profondeur sous le lac Léman. Le coût est estimé à 15 milliards d’euros. Les particules seront lancées pratiquement à la vitesse de la lumière et d’après ce que j’ai lu – tiens, j’ai encore l’article en tête –, il s’agira de « déplacer le plafond de verre actuel des connaissances en perçant le secret de la matière noire ». Rien que ça !
— La matière noire… (Marcus regarde sa montre). Il va falloir y aller… On n’avance pas beaucoup sur le sujet. Je m’y suis intéressé un temps, mais je commence à me lasser. Avec l’énergie noire, elle représente quand même 95 % de la masse de l’Univers, mais ça à l’air de ne choquer personne ! En France, on préfère palabrer sur le futur Premier ministre.
— Mais non, on parle aussi des Jeux paralympiques. Une réussite, d’ailleurs, comme les Jeux olympiques… Mais je reviens à l’énergie noire – ou sombre. Beaucoup pensent qu’elle est animée d’une pression négative qui engendrerait une force répulsive, et cela expliquerait l’accélération de l’expansion de l’Univers. Je te rappelle que ce sont Saul Perlmutter, Brian Schmidt et Adam Riess qui ont émis l’hypothèse d’une énergie manquante après avoir constaté cette accélération. Ils ont pour cela obtenu le Prix Nobel de physique en 2011.
— Tu me fais un cours ? On apprend ça à la maternelle… Mais pour ce qui est de la pression négative, encore une hypothèse de plus… Nous sommes tous excellents pour formuler des hypothèses, mais ce sont les preuves qui font défaut.
Il va être temps de partir, se dit Louis qui rétorque :
— D'accord. Puisque tu fais allusion à des preuves, on vient de résoudre la « conjecture du castor ». Voilà au moins quelque chose de positif.
— Ah oui, le fameux « Busy Beaver Challenge ». Dire qu’il a fallu une équipe internationale d’une vingtaine de personnes pour résoudre ce problème. « Savoir quel programme informatique s’arrêtera pour donner une bonne réponse parmi plus de 16 000 milliards ». Non mais, à quoi ça sert tout cela ?
— OK… (Louis n’en peut plus.) Tu ne veux vraiment pas qu’on réfléchisse au futur Premier ministre ?
— Je vais plagier Philippe Sollers : réfléchissons, réfléchissons, il en restera toujours quelque chose… Mais je laisse ça aux autres… Après tout, nous avons le temps : un gouvernement démissionnaire ne peut pas être renversé…
FIN
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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
2 septembre 2024
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