Chroniques vingt-et-unièmes — Une question de mental — 5 août 2024


 Une question de mental 


Malgré ses résolutions, elle n’a pu y échapper. Elle s’était promis de ne pas regarder les Jeux, de ne pas s’y intéresser en raison du désastre écologique qu’ils sont censés provoquer.

Mais sur Facebook, Instagram, Twitch ou Tik Tok, les commentaires étaient omniprésents. 

Avec le projecteur braqué sur Léon Marchand.

Ludivine y a entendu des expressions telles que « Marchand d’espoir », « Marchand de rêves », « Marchand sur l’eau », et elle s’est alors demandé qui était ce nageur toulousain parti s’entraîner aux États-Unis et revenu pour décrocher cinq médailles, dont quatre en or, dans ces Jeux de Paris. Un demi-dieu, connu maintenant des quatre milliards d’humains qui par la télé et les autres médias suivent les compétitions. Près de la moitié de la population mondiale ! Et vingt-deux ans comme elle ! Évidemment, elle n’a pas pu s’empêcher de comparer son parcours au sien.

Sans parler de Teddy Riner qui, lui, a réussi l’exploit d’obtenir des médailles sur quatre olympiades différentes.

Et finalement, elle s’est mise à s'intéresser aux épreuves, jour après jour.

Pourtant, elle avait été sensible à l’initiative des Insoumis de lancer jusqu’au 8 septembre ce qu’ils appellent une « commission d’enquête populaire » dans le but d’auditionner des membres de l'organisation de cet événement planétaire pour en évaluer les « implications sociales, économiques et écologiques ». Ils dénoncent en effet ces Jeux qui « exacerbent les travers et les dérives de la politique d'Emmanuel Macron » ainsi que le « sport business », s'opposant à une manifestation qui n'a « plus rien à voir avec la cohésion et le plaisir du sport ». Sans oublier « les populations expulsées et paupérisées, et les restrictions de libertés publiques » qui en découleraient.

Ce qui n’a pas eu l’air de surprendre son père Xavier, lequel a simplement commenté : 

—  Rien de neuf sous le soleil : de tout temps, il y a toujours eu ceux qui font et ceux qui critiquent ceux qui font…

Surtout, elle n’a pas compris grand-chose à cette polémique sur la « Cène » qui ne faiblit pas, qui a choqué les milieux catholiques, avec des menaces à la clé contre certains y ayant participé : « Scènes de dérision et de moquerie du christianisme […] Nous n’avons rien d’autre à offrir que la prière et le jeûne pour que Dieu pardonne cette grande insulte. »

Sauf que, d'après Benoît qui se dit bien informé, l’hypothèse est fausse, comme l’a indiqué le directeur artistique Thomas Jolly (assez bien placé pour répondre) : le tableau s’appelait « Festivités » et il n’y avait aucune référence à la fameuse « Cène ». L'idée était de représenter les dieux de l’Olympe autour d’un bon repas, un simple clin d'œil à la tradition grecque. Les messages étaient d’ailleurs évidents : Dionysos, père supposé de la déesse gauloise Sequana (si on se fie à  Bernardin de Saint-Pierre, le seul à mentionner cette filiation, mais il faut peut-être y voir là une dérive poétique) qui a donné son nom à la Seine. Dionysos, donc, membre de l’Olympe. « Olympe » comme « Olympiade » et « Olympisme ». Pour Benoît, encore, il s’agissait sans doute de raccourcis assez faciles (on peut le pardonner aux artistes), mais pas d’une volonté d’offenser une religion.

Et il affirme disposer d’un scoop : selon des milieux très autorisés (un de ses amis fait partie, paraît-il, du staff de l’équipe de natation), c’est en rasant sa moustache qui le freinait que Florent Manaudou aurait grappillé les quelques centièmes de seconde lui ayant permis d’arracher la médaille de bronze au 50 mètres nage libre.

Affabulation ou non (elle connaît le sens de l’humour de Benoît et elle préfère ses divagations à sa manie de vouloir trouver une explication à tout), ces sujets ennuient prodigieusement Ludivine. Mais elle pense tout de même à Léon Marchand. Si conquérant, si sûr de lui… « Une question de mental », entend-on souvent. Ce mental, elle aimerait bien le posséder, il l'aiderait certainement à mieux avancer dans la vie, sans perdre son temps à y chercher son chemin.

—  Quarante-quatre médailles, exulte son père en dansant dans le salon. Record de Pékin battu à la moitié des Jeux ! (On ne retiendra pas bien sûr les cent-quatre médailles françaises des Jeux de Paris de 1900 où seulement vingt-quatre nations concouraient.)

Lui aussi a ce mental, se dit-elle.

Mais ma médaille à moi, je saurai bien la trouver.



FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

5 août 2024

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