Chroniques vingt-et-unièmes — La France ne peut pas s’arrêter — 22 juillet 2024
La France ne peut pas s’arrêter
Hamid a suivi tous les événements en France, avec stupeur. C’est donc ça la démocratie ? Renverser la table sans être dans la capacité d’en dresser une nouvelle ?
La démocratie, il en a entendu parler durant toute son enfance à Kaboul sans l’avoir connue. Comme un paradis inaccessible où tous les problèmes se seraient effacés d’eux-mêmes.
La démocratie… Il y a eu cette tentative non transformée entre 2002 et 2021 avant le retour des talibans. Durant cette période, les Américains ont instauré des élections en Afghanistan, mais la greffe n’a pas pris, les attentats et les intimidations se sont succédé, le tout dans un pays gangréné par la corruption. Une question de culture ?
C’est cette situation qu’il a cherché à fuir. Il s’est dit que le paradis, il allait l’atteindre en France.
Mais ce qu’il a entendu depuis deux ans dépasse sa compréhension. Dans un pays si riche disposant de tant d’atouts, pourquoi toute cette haine déversée continuellement, pourquoi ce langage guerrier ? Pourquoi de simples adversaires deviennent-ils des ennemis ? Il revit les heures sombres du combat entre forces gouvernementales et talibans. Les paroles ici ne sont pas si éloignées de celles de là-bas, notamment de celles de son oncle Kamal qui ayant bataillé avec le commandant Massoud en parsemait ses souvenirs.
Avec son salaire de chef de rang dans un restaurant, il arrive à vivre, difficilement, mais il y arrive. Il apprécierait un complément pour se sentir plus à l’aise, et il note que ces derniers temps, on a beaucoup évoqué le « fric » dans les discours d’avant et d’après les élections. Le fric qu’on appelle pudiquement « pouvoir d’achat ». Mais il hésite à considérer que c’est la préoccupation principale des Français, ce serait trop mesquin. S'il se fie à ses déductions, il semble que ce soit le danger raciste. À propos du RN, il a ainsi entendu parler de « front républicain », de « cordon sanitaire » comme si une menace virale pesait sur la société. Il pense pourtant que ce parti a respecté toutes les règles au moment de l’élection, en se glissant dans les usages de la République.
Mais il n’est pas mécontent, ayant entendu dire aussi que les migrants comme lui seraient visés. En tant qu’immigré de fraîche date, il a peur, se demandant s’il serait concerné par la politique du RN, s’il serait renvoyé chez lui. Avec néanmoins l’espoir que le principe de réalité s’imposerait. Si tous les immigrés ou enfants d’immigrés cessaient subitement leur travail, la France, qui n’est déjà pas si vaillante, s’arrêterait d’un coup : plus d’employés dans les supermarchés ; fin du ramassage des ordures et du ménage dans les entreprises ; disparition de nombreux médecins et autres soignants dans les hôpitaux et maisons de retraite ; des dizaines de milliers de personnes âgées attendant indéfiniment leur aide à domicile… Un cauchemar…
Les élections ont donc eu lieu, mais rien n’est réglé à ce qu’il paraît. Et Hamid trouve certaines querelles sordides. Il y a eu une bataille de chiffonniers pour se partager les postes de l’Assemblée sans trop savoir ce qu’on allait en faire. Pour quel projet ? La gauche est vent debout contre le front anti-NFP qui s’est mis en place pour l’élection du Président, ceci après avoir participé à un front anti-RN lors du second tour des législatives. Et André Chassaigne s’est offusqué que le parti LR soit surreprésenté alors qu’il n’était pas gêné lui-même de prendre la charge de Président en appartenant à un parti qui ne récolte que 2 ou 3 % des suffrages.
Hamid estime qu’il y a un manque de logique dans toutes ces déclarations. Et il est même parfois choqué : ces députés qui refusent de serrer la main à d’autres… Et la fraude au moment de l’élection des postes clés à l’Assemblée… Dix bulletins de trop dans l’urne ! Un scénario digne d’une république bananière !
« T’inquiète pas », lui a dit Émeline, « c’est souvent comme ça en France », ce qui ne l’a pas vraiment rassuré. Il constate que Yaël Braun-Pivet est toujours présidente de l’Assemblée, et Gabriel Attal toujours Premier ministre. Peut-être faut-il, à l'instar de la célèbre formule du Guépard – qu’il a vu pendant son adolescence en pashto (la langue des Pachtounes) – que « tout change pour que rien ne change » ? Il n’est pas un fin connaisseur, loin de là, des pratiques politiques françaises, mais il s'interroge : la France ne pourrait-elle pas être dirigée pendant un an par un gouvernement démissionnaire qui, justement parce qu’il est démissionnaire, ne pourrait pas être renversé ?
Mais il conserve une crainte : en tout temps, en tout lieu, le désordre s’est toujours suivi d’une demande d’ordre.
Il n’a qu’une consolation, c’est que la situation peut être pire ailleurs. Outre-Atlantique, l’un des deux candidats à la magistrature suprême ne vient-il pas d’échapper à un attentat, et son adversaire n’a-t-il pas renoncé, cédant à la pression de l’opinion ?
— Hamid, mais tu dors, ma parole ? Il y a des clients qui attendent !
Hamid se rend compte qu’il a rêvassé durant quelques minutes. Le patron le rappelle à la raison, il doit se ressaisir. La France ne peut pas s’arrêter…
FIN
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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
22 juillet 2024
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