Chroniques vingt-et-unièmes — Jamais plus de cinq ans — 1er juillet 2024
Jamais plus de cinq ans
Aucune surprise dans les résultats après les derniers sondages : 33,15 % en faveur du RN (pour tous les commentateurs un « résultat historique »), 27,99 % pour le Nouveau Front populaire, 20,04 % pour la majorité présidentielle et 10,23 % pour la droite hors Éric Ciotti. Et ceci avec une participation presque record de 69,7 %.
Xavier éteint la télé à minuit passé alors qu’Émeline est allée se coucher depuis longtemps. « Les jeux sont faits », a-t-elle dit au bout d’une heure, sans préciser s’il s’agissait des jeux du cirque ou des futurs Jeux olympiques.
Tout ce résultat est basé sur un malentendu, pense-t-il en arpentant le salon. Une théorie qu’il ne développe guère en public, qui le ferait certainement passer pour un vil réactionnaire. Pour lui, il y a cette croyance profondément ancrée chez les gouvernés que les gouvernants peuvent changer leur vie. Et malheureusement, certains politiques, par opportunisme ou une foi aveugle dans leur capacité à transformer ce qui ne peut l’être, le laissent supposer. De plus, l’avènement de « l’État providence » depuis une cinquantaine d’années n’a fait que renforcer cette idée. C’est oublier qu’un gouvernement n’est que le pilote d’un paquebot – l’État – qui ne se manœuvre pas comme un hors-bord. Il faut tenir compte de l’inertie… Tout au plus, la vie peut-elle changer à la marge, l’État mettant en place différents moyens pour favoriser ce changement. Mais le plus gros des efforts reviendra toujours à la personne elle-même. Pourtant, on déplore que le « fameux ascenseur social » ait disparu ou qu’il donne du moins des signes de faiblesse. Un terme en vérité très mal choisi : ce n’est pas un ascenseur où il suffit de pénétrer pour s’élever au-dessus de son origine ; plutôt une échelle de corde où chaque échelon à gravir nécessite un effort personnel. Mais cette échelle, même si elle est dure à emprunter, a le mérite d’exister, ce qui est loin d’être le cas dans la plupart des pays de la planète. Alors, ne laissons pas croire qu’il suffit d’entrer dans l’ascenseur…
Xavier en arrive à cette conclusion. Il fixe l’écran noir de la télé mais il n’a pas vraiment envie de dormir. Il résiste à la tentation de la rallumer pour sauter à nouveau d’une chaîne d’information à une autre. Mais que va-t-il entendre ? Que la dissolution était une hérésie ? Il se dit que n’importe quel président, de gauche ou de droite, aurait agi de la même façon, contre l’avis d’Émeline qui n’a cessé de répéter qu’Emmanuel Macron avait ouvert la porte à l’inconnu. Il est pourtant persuadé qu’avec l’obstruction systématique et les menaces permanentes de motion de censure qui auraient mené à une impasse à l’automne à l’occasion du vote du Budget, il n’y avait que deux issues : un coup d’État ou la dissolution. La démocratie n’a pas à se plaindre que la deuxième option ait été choisie.
C’est donc la fin, pour l’instant, de ce qu’on s’est habitué à appeler la « macronie ». Mais cela semble être en France l’épilogue de tout pouvoir en place. Xavier fait les comptes. Depuis Valéry Giscard d’Estaing qui a réussi à gouverner sept ans (parce que le septennat à l’époque existait encore, et bien que très impopulaire les derniers mois de son mandat, les lois sur l’IVG et la baisse de la majorité à 18 ans ne lui ayant pas apporté les dividendes attendus), aucun autre président n’est parvenu à tenir cinq ans sans être désavoué. Ainsi, François Mitterrand, élu en 1981, et la gauche battue en 1986, une défaite ouvrant la voie à la première cohabitation (la retraite à 60 ans aurait pourtant dû lui assurer un boulevard !). Même scénario en 1988 et nouvelle défaite aux législatives de 1993, déclenchant la deuxième cohabitation. Et Jacques Chirac, élu en 1995, et aussitôt renvoyé dans ses buts lors des législatives anticipées de 1997, malgré la suppression du service militaire qui aurait dû rallier tous les jeunes hommes en âge de le faire. D’où la troisième cohabitation. De même, Lionel Jospin, qui à l’occasion de celle-ci détint le pouvoir effectif durant cinq ans et qui n’arriva que troisième au premier tour de la présidentielle de 2002, en dépit de la loi sur les 35 heures que ne pouvaient qu’apprécier les Français. Et que dire de Nicolas Sarkozy non reconduit à l’issue de son mandat en 2012, et de François Hollande qui n’osa pas se représenter en 2017 ? Une constante : jamais plus de cinq ans. Alors, l’ingratitude ? Il est donc surprenant, et même inespéré pour lui, qu’Emmanuel Macron ait pu tenir ainsi sept ans.
Un septennat, finalement, qui se conclut par un échec. En outre, une expérience inédite. Michel Winock l'a souvent expliqué : c’était pour la première fois de l’histoire de la République un « gouvernement du centre » et non un « gouvernement au centre » comme on l’a connu à de nombreuses reprises depuis 1870. Le désaveu de ce type de gouvernement est flagrant, le désaveu du principe que dans la vie les choses ne sont pas systématiquement blanches ou noires, mais qu’elles présentent des nuances. On préfère les « décisions tranchées », les « lignes claires », quand ce ne sont pas des « lignes rouges ». En réalité le refus permanent du compromis illustré ces dernières années par tous les mouvements qui ont secoué la société : « Nuit debout », gilets jaunes, manifestations dégénérant en insurrections, émeutes urbaines débouchant sur de la casse sociale. Un malentendu de plus.
Xavier ouvre la porte d’entrée et s’avance vers l’extérieur. Quelques clameurs viennent de la périphérie alors qu’une douce brise lui rafraîchit le visage. Il descend le perron et bifurque vers le jardin. En méditant toujours.
Faut-il accepter l’arrivée au pouvoir de la force qui monte ou ériger un mur de confinement ? Les appels de collectifs ou de tribunes (personnalités du spectacle, philosophes, universités et grandes écoles, syndicats, footballeurs…) à « faire barrage au RN » se sont multipliés, ce qui montre une fois de plus le décalage entre la carte et le territoire. D’un côté, une vision fantasmée de la fraternité et de la concorde nationale, et de l’autre des individus empêtrés dans leur vie quotidienne ou ne comprenant pas pourquoi tout est si long à changer. Et puis, encore une fois, serait-ce faire preuve de démocratie que d’ignorer le vote de 10,6 millions d’électeurs ?
Xavier est tiraillé entre toutes ces idées. Il marche dans la nuit sous le regard des étoiles. Ici et là se profile donc pour le second tour, et selon les circonscriptions, un « front anti-RN ». Mais les électeurs appartiennent-ils aux états-majors des partis ? Dans le secret des urnes, n’existera-t-il pas un « front anti-Nouveau Front populaire » ou un « front anti-Macron » ? Le « Front républicain », tel qu’on se plaisait à l’appeler, a-t-il encore une signification ? Le « plafond de verre » n’a-t-il pas déjà volé en éclats ?
Toujours ces interrogations. Mais la France en a vu bien d’autres. Elle porte une longue histoire agitée, animée de soubresauts. Et puis la réalité finit généralement par s’imposer aux gouvernants, contrariant leurs velléités de renverser la table. Le paquebot restera toujours aussi difficile à manœuvrer, quelle que soit la virtuosité du pilote…
FIN
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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
1er juillet 2024
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