Chroniques vingt-et-unièmes — De la science-fiction — 17 juin 2024
De la science-fiction
Il est 20 heures. L’estimation établie des sondages à la sortie des urnes vient de tomber : en ce 7 juillet, le camp présidentiel s’adjuge 290 députés, soit la majorité absolue. Il faut dire que le premier tour avait déjoué tous les pronostics en plaçant les candidats macronistes en tête dans les deux tiers des circonscriptions. Un résultat déjà totalement inattendu.
Bien qu’ils aient obtenu les chiffres depuis plusieurs heures, Laurent Delahousse, plus ébouriffé qu’à l’ordinaire, et Anne-Sophie Lapix échangent sur France 2 des coups d'oeil furtifs, où se perçoit encore la stupéfaction, n’ayant pas vraiment intégré la situation. La scène est la même sur le plateau de TF1 entre Gilles Bouleau et Anne-Claire Coudray. Ce n’est pas le grand remplacement, mais le grand étonnement. La soirée promet d’être longue car sans doute s’affûtent les arguments des invités autour de la table. François Bayrou, à qui on doit peut-être cette issue improbable en tant que commissaire au plan B, a le regard lointain. On sent qu’il enjambe déjà la prochaine présidentielle de 2027 en s’imaginant à nouveau ministre. Louis Aliot du Rassemblement national fixe son pupitre, les traits tirés. Il doit se demander comment la coalition LRN a pu échouer si près du but. Clémentine Autain a la mine terreuse bien qu’elle l’ait rehaussée de poudre rose. Elle se fige comme une statue. Olivier Faure, lui, avec son éternel optimisme, s’apprête sûrement à rebondir toujours plus haut au-dessus des obstacles qui ne cessent depuis une décennie de se dresser devant le parti socialiste. Tous écoutent – ou semblent écouter – poliment l’analyse de Brice Teinturier d’Ipsos qui évoque la transformation en victoire du « sursaut national » survenu la semaine précédente. Nathalie Saint-Cricq explique ensuite de son air pincé que finalement tout cela était prévisible, déroulant, contente d’elle, tous les arguments pour étayer sa thèse.
Vraiment ? Pouvait-on prédire ce dénouement ? Après la dissolution décidée par le Président pour amener à une « clarification », on a connu, pour reprendre les termes de Michel Onfray, un véritable vaudeville : constitution d’un « Nouveau Front populaire » entre gauches irréconciliables ; putsch raté des cadres LR contre Éric Ciotti, suivi de l’éclatement du parti entre trois courants ennemis ; non-reconduction pour cause d’offense à leur chef d’Alexis Corbières, Raquel Garido et Danielle Simonnet ; candidature aussitôt retirée d’Adrien Quatennens qui après sa condamnation pour violences conjugales n’a apparemment pas assez purgé sa peine, peut-être parce qu’elle n’a été prononcée qu’avec sursis ; celle autoproclamée de François Hollande que le PS a bien été obligé d’avaliser malgré l’opposition de LFI, le faisant ainsi un allié irréductible de Philippe Poutou : exclusion de Marion Maréchal de Reconquête, laquelle n’a eu comme alternative que de revenir à la maison… Cette succession de rebondissements donne le tournis, la clarification espérée s’est muée en explosion.
Mais finalement, autour de la table des débats, le pugilat n’a pas eu lieu, la soirée a été morne et va s’écourter. À part François Bayrou, les esprits semblent terrassés. Et une heure plus tard, dès les sondages confirmés, Emmanuel Macron remercie dans une allocution solennelle la « dynamique qui a évité le chaos ». Tout laisse penser que Gabriel Attal va être reconduit à son poste. Aussitôt, dans un seul mouvement, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon annoncent leur retrait définitif de la vie politique, utilisant pour une fois la même formule : « Nous n’avons pas réussi à convaincre ».
Et la réalité va se rappeler à la France, chassant ces trois semaines où le monde pour elle s'est arrêté : l’Ukraine, Gaza, la Nouvelle-Calédonie, la violence des mineurs, la dette…
Xavier se redresse, le corps inondé de sueur. À ses côtés, Émeline se réveille, elle aussi, inquiète. Depuis plusieurs jours, son mari a le sommeil agité.
— Un cauchemar, encore ?
Il reprend ses esprits :
— Non, là, c’était de la science-fiction.
FIN
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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
17 juin 2024
Le spectacle continue et c'est gratuit. Ne sommes-nous pas le pays qui a inventé le Tour de France? En attendant l'arrivée, j'ai l'impression qu'aucun des partis en lice n'est vraiment serein. On va avoir un été sportif.
RépondreSupprimerEt peut-être même davantage... [GD]
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