Chroniques vingt-et-unièmes — Dansons maintenant... — 24 juin 2024

 Dansons maintenant

—  Avec tous ces événements en France, on en oublie les guerres…

Charles vient de parler, ne cachant pas une grimace. Il est attablé depuis quelques minutes avec Jean-Bernard et Ludovic en terrasse du bistrot du Trocadéro. Le cercle officieux de militaires en retraite reprend un peu des couleurs.

—  Et même l’Euro de foot…, appuie Ludovic, c’est tout dire…

—  Oh ! ça…, commente Jean-Bernard.

Charles qui est un passionné d’athlétisme, peut-être parce qu’il a commandé des unités de commandos parachutistes, continue :

—  Et les Jeux, ils ont totalement disparu des radars…

—  Attends, c’est dans un mois, répond Ludovic, ce sera les vacances pour tout le monde, la politique sera loin…

—  Pas sûr, mais concernant l’Ukraine, je ne sais pas si le pays va tenir. La Russie grignote, grignote… Les armes occidentales se font désirer et Poutine doit jubiler avec ce qui se passe chez nous. Il paraît qu’il suit attentivement les nouvelles. Pour lui, c’est à cause de son soutien à l’Ukraine que Macron a été désavoué. Il a même dit que la France est la « honte de l’Europe ».

Un parfum d’été parcourt la place du Trocadéro – il faut en profiter, l’orage peut gronder très vite.

Jean-Bernard marque son impatience :

—  Je n’attache pas beaucoup d’importance aux déclarations de Poutine. Pour moi, il a un problème d’espace-temps. Côté espace, il estime que les frontières de la Russie sont « indéfinies » ; et pour le temps, il se croit toujours à l’époque des nazis, puisqu’il veut encore « éradiquer le nazisme ». 

—  Bien vu, dit Ludovic, mais en tout cas, avec l’Ukraine, on est en train de faire des pas de géants en matière de guerre de drones, mais aussi de robots de combat de plus en plus utilisés. Tout ça me fait penser à la guerre de Sécession. La guerre de position avec barrages d’artillerie y a fait d’énormes progrès et elle a préparé celle de 14-18.

Charles approuve Ludovic :

—  Exact. Comme la guerre des Boers vers 1900 a préparé les camps de concentration avec l’invention des barbelés.

—  Et s’il n’y avait que la Russie, soupire Jean-Bernard. On se demande à quoi il faut s’attendre avec l’Iran, la Chine…

De fait, il songe à tous ces ex-empires (Russie, Chine, Iran, Turquie) qui relèvent la tête en capitalisant sur une histoire glorieuse. Ils n’ont toujours pas digéré les humiliations que leur a infligées l’Occident dans le passé, et ils le font savoir. Jean-Bernard pense même qu’on devrait peut-être se méfier de la Mongolie : l’Empire mongol est quand même le plus grand empire qui ait jamais existé…

Un pli barre le front de Charles. Il réfléchit tout haut :

—  Tout le monde s’est trompé en fait. On s’imaginait que le prochain conflit serait nucléaire et que, du coup, toute guerre deviendrait impossible à cause des dégâts terribles qu’elle occasionnerait. Ouais, on s’est tous trompés. On n’a pas du tout prévu la guerre des drones ni la guerre des ballons d’excréments entre les deux Corées (Jean-Bernard et Ludovic sont hilares). Sans parler des mains rouges dessinées sur les murs ou les cercueils sous la Tour Eiffel. On appelle ça la « guerre hybride ». C’est toute la difficulté de l’art de prédire !

Jean-Bernard se dit que les Russes pourraient aussi lancer des ballons – il faut s’attendre à tout –, mais le problème ce sont les vents dominants soufflant de l’ouest, qui risquent de renvoyer les ballons à l’expéditeur, ce qui ferait mauvais genre. C’est d’ailleurs la même difficulté avec le nucléaire. Tout nuage radioactif déclenché par une bombe sur l’Europe aurait de fortes chances de se disperser vers l’est, c’est-à-dire sur les populations russes.

—  Mais tout cela n’empêche pas la France de danser, rétorque Ludovic en levant sa tasse de café. Nous venons d’avoir partout la fête de la musique, et dans une foule d’autres pays. Au moins, la France a réussi à exporter ça, à défaut d’autre chose…

Oui, dans le contexte actuel, c’est ce qu’il nous reste, songe Jean-Bernard. Alors, dansons maintenant…

FIN

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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

24 juin 2024