Chroniques vingt-et-unièmes — Un petit changement — 13 mai 2024
Un petit changement
— Vanessa est déçue. Elle pensait se faire un peu d’argent avec Tik Tok Lite, mais la nouvelle fonction a été suspendue.
Jean-Bernard s’esclaffe :
— Pour gagner un euro de l’heure en regardant des vidéos ! Elle a peut-être autre chose à faire, à bientôt quinze ans, que de regarder Tik Tok Lite… Et elle doit passer le brevet dans moins de deux mois, il me semble…
— Ce que tu peux être rabat-joie ! Elle a bien le droit de se détendre, tout de même !
Jean-Bernard replie son magazine. L’éducation des enfants est un sujet sensible avec Élise. Lui était militaire, élevé à la dure par son père également militaire, alors que sa femme s’inscrit dans la liberté et la compréhension qui selon elle, par un effet boule de neige, amènent à la bienveillance.
« Ça reste à démontrer », lui dit constamment Jean-Bernard. Là, il répond :
— Je préfère qu’on lui augmente un peu son argent de poche et qu’elle utilise son temps pour des occupations plus saines.
Élise hausse les épaules. Elle a l’impression que Jean-Bernard devient de plus en plus rigide. Aurait-il du mal à digérer son statut d’officier en retraite ?
— Et elle est aussi déçue de ne pas avoir obtenu de place pour le concert de Taylor Swift. Pourtant, elle avait essayé de réserver très longtemps à l’avance !
— C’est toujours 180 euros d’économisés, rétorque Jean-Bernard en levant les yeux au ciel
— Si tu le prends comme ça…
— Mais oui, je le prends comme ça. Avant tout ce battage médiatique qu’on a subi sur Taylor Swift, je n’avais jamais entendu parler d’elle. Je sais seulement qu’elle a commencé avec de la country en racontant ses peines de cœur…
— Tu n’avais jamais entendu parler d’elle ? Ma parole, tu vis dans un univers parallèle…
— C’est comme ce concours de l’Eurovision en Suède que j’ai trouvé très médiocre, les musiques se ressemblent toutes, aucune mélodie… Je ne suis pas chauvin, mais c’est quand même Slimane que j’ai préféré.
— Mais essaie de vivre au vingt et unième siècle ! Est-ce qu’aujourd’hui on se soucie de mélodie ? Tu devrais écouter Vanessa, elle dit que c’est un « truc de boomer ».
— Je ne vais pas paraphraser le docteur Knock, mais le statut de non-boomer est un statut précaire. Quant à celui de boomer, tout le monde y va à grandes enjambées.
Jean-Bernard sait que ses remarques acerbes ne vont pas modifier grand-chose. Sa femme et sa fille le pensent rétif au changement. Mais en réalité, ce n’est pas le changement en soi qui le dérange, c’est la multiplication des changements. Il a l’impression d’avoir toujours un train à prendre et de courir sur un quai de gare sans fin pour l’attraper. Là où jusqu’au siècle précédent, il fallait une ou deux générations pour digérer un changement, c’est aujourd’hui une dizaine de changements qu’on doit absorber en une seule génération. Et le contexte des élections européennes semble bien se prêter à une analyse. Le paysage politique se polarise entre des extrêmes, entre ceux qui voudraient accélérer le changement, et ceux, beaucoup plus nombreux, qui jettent l’éponge, qui n’aspirent qu’à revenir à un passé idéalisé, lequel, bien sûr, n’a existé que dans les discours.
— Quand tu en auras fini avec tes considérations sur le docteur Knock, on pourra discuter, reprend Élise. Tu es donc d’accord pour augmenter l’argent de poche de Vanessa ?
— Oui, ce n’est qu’un petit changement…
— Pardon ?
FIN
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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
13 mai 2024
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