Chroniques vingt-et-unièmes — Une question de culture — 27 mai 2024
Une question de culture
— Et ton avis sur les Européennes ?
Sébastien a appuyé sur le mot « Européennes » d’un air grave. Il a fait les comptes : le « bloc de gauche », toutes nuances confondues, n’a guère de chance de dépasser la barre de 30 % des suffrages. En outre, le parti écologiste n’est pas certain de passer le seuil fatidique de 5 % pour obtenir des députés, et pendant ce temps Jordan Badella caracole à plus de 34 % des intentions de vote. Si on ajoute les autres partis souverainistes, le « bloc national » n’est pas loin des 42 %. Il explique tout cela à Xavier.
— Ce que tu dis est vrai, réplique celui-ci, mais ce score – appelons-le ainsi – du bloc national est à peu près équivalent à celui de Marine Le Pen au deuxième tour en 2022. Logique puisqu’il n’y a ici qu’un tour.
— Quand même…
Xavier range les pièces du jeu d’échecs dans sa boîte. Il poursuit :
— Et il y a beaucoup d’excès dans tout ce qu’on entend. La gauche décline dans notre pays – c’est un fait. Elle représente moins de 30 % et elle me fait penser à un poisson qui se débat dans un filet. On l’a vu avec Mélenchon à propos de la conférence interdite à Lille. Comparer le président de l’université à Eichmann…
— On peut en dire autant de la droite…
— Tu as raison. Reste à savoir qui tend les filets…
— Ah ! ça…
— Et tu as regardé le débat entre Attal et Bardella ?
— Oui, j’ai regardé. Il y a eu quelques inexactitudes, quelques petits coups bas, mais je les ai trouvés relativement brillants… pour des jeunes, je veux dire…
Sébastien s’esclaffe :
— Holà ! tu ne vas pas raisonner comme un boomer !
— Mais non… Ce qui est intéressant, en fait, c’est le changement total de paysage politique en seulement dix ans. En 2014, le parti de Macron n’existait pas et personne ne voulait débattre avec le Front national que l’on mettait au ban de la République. C’était l’époque des joutes entre les socialistes et la droite traditionnelle qui se partageaient le pouvoir depuis des décennies. Aujourd’hui, ils n’ont même plus voix au chapitre, et on se bouscule presque pour avoir un débat avec le RN.
— Il y a quand même Glucksmann qui talonne la liste présidentielle…
— Bien sûr, mais je me demande si cela a un rapport avec le socialisme. Glucksmann est connu, il a une bonne tête, et ça joue. Je me rappelle que Daniel Cohn-Bendit chez les écologistes, et Bernard Tapie au MRG ont fait d’excellents scores aux élections européennes uniquement pour cette raison.
Sébastien esquisse une moue :
— Ce sont les limites de la démocratie, mais au moins nous avons la démocratie !
— Tout à fait juste. J’ai entendu un commentateur expliquer que les régimes autoritaires comme la Chine et la Russie ont peur de l’Occident parce qu’il représente la démocratie.
— Ça me paraît vrai…
— Je ne sais pas. J’ai plutôt l’impression que ces régimes autoritaires, comme on dit, ne veulent pas qu’on leur impose notre modèle.
— Parce qu’il ne serait pas bon, peut-être ?
— Je n’ai pas dit ça, sourit Xavier. Mais le commentateur raisonne comme un Occidental. Nous raisonnons tous comme des Occidentaux. En ce qui me concerne, j’ai du mal à me mettre dans la tête d’un Russe ou d’un Chinois. Je crois que la démocratie n’est pas la première de leur priorité, et ça se défend, après tout…
— Mais la démocratie devrait être prioritaire partout !
— C’est encore une question de culture. Des pays comme la Russie et la Chine n’ont jamais connu la démocratie de toute leur histoire, c’est une grande différence avec nous.
— Différence ou pas…
— Mais si… Et nous sommes contradictoires, continue Xavier. D’un côté, on entend toujours dire qu’on doit accepter les différences, et que ces différences nous enrichissent, même – je me souviens de la chanson de Jean-Jacques Goldman –, et de l’autre, on veut imposer notre façon de penser au monde entier. Il faut choisir…
Sébastien, offusqué, s’apprête à rétorquer quand Émeline déboule dans le salon, la mine farouche :
— Les limaces ont mangé toutes les fraises du jardin !
— Alors, réjouissons-nous, répond Xavier, le jour où il n’y aura plus de limaces, on sera tous morts !
Sébastien prend un air amusé :
— Vu sous cet angle… Dis, tu ne deviendrais pas un peu écolo ?
— Non, simplement réaliste…
FIN
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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
27 mai 2024
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