Chroniques vingt-et-unièmes — Prendre le temps— 22 avril 2024


 Prendre le temps


Quelle heure est-il sur le satellite naturel de la Terre ? N’est-ce pas une question intéressante ? On serait d’abord tenté de dire : pourquoi cette question ? Et dans un second temps : mais l’heure qu’il fait sur Terre ! Oui, mais quelle heure ? L’heure GMT ? Peut-être, mais à quelle longitude ? Prendre quel fuseau ? Celui de Greenwich ? Mais pourquoi privilégier ce fuseau qui n’a aucun sens sur la Lune ? Alors, faut-il créer un fuseau spécial basé sur le temps UTC établi par la moyenne des horloges atomiques disséminées à la surface de la Terre ?

Autant de questions –  certains les qualifieraient de byzantines – que le professeur Marcus se pose en remontant la rue Linné qui le conduit à son bureau de Jussieu. Mais on trouvera bien une solution, il suffit pour cela de constituer une instance internationale qui réfléchira quelques années sur le sujet, et au bout du compte, on finira bien par avoir des propositions.

Sauf que ce ne sont pas là les vraies questions. Elles seraient même secondaires. Car le problème de taille  – ignoré le plus souvent – est la différence d’écoulement du temps sur la Terre et sur la Lune !

Eh oui, et Marcus se demande qui, à part lui et quelques astrophysiciens, se soucie de cette différence. Son collègue Louis peut-être ?

Reprenons. La relativité générale nous a déjà habitués à considérer le temps comme une valeur qui fluctue en fonction de la vitesse. Pour être plus précis, le temps s’écoule moins vite quand la vitesse est grande, et c’est une loi qui a été validée par l’expérience en comparant deux horloges atomiques, la première restée sur la Terre et la seconde après un vol spatial. Cela viendrait du fait que le temps se dilate à haute vitesse, un peu comme le fait un gaz à haute température. Et autre étrangeté : le temps se serait écoulé cinq fois moins vite lorsque l’Univers était « jeune ». Stupéfiant, non ?

Mais cela n’explique pas pourquoi le temps s’écoule différemment sur la Lune et sur la Terre. En fait, un autre paramètre entre en jeu, c’est la gravité qui elle aussi « dilate » le temps. En conséquence, le temps s’écoule plus lentement sur un objet massif que sur un objet plus léger. Ce qui nous ramène au cas de la Terre et de la Lune : pour cette raison, la Terre perd chaque jour 56 microsecondes par rapport à la Lune.

Un peu gênant peut-être pour les futurs colons de la Lune qui se verront ainsi retirer quelques fragments de vie. Mais à l’inverse, que dire du temps à la surface du Soleil où la gravité est considérablement plus importante ? De ce fait, on y vieillirait moins rapidement… Mais ce n’est rien à côté d’un trou noir où la gravité aspire tout, et donc le temps. Et peut-être même que le temps s’y arrête ou qu’il y devient négatif. Ce serait par conséquent remonter le temps, encore un vaste champ d’interrogations…

Marcus est perplexe. « Je pensais pourtant que lorsqu’on était dans la lune, le temps passait moins vite… », lui a dit son fils Thomas. Une blague pour l’agrégé d’histoire qui se demande pourquoi son père se mure dans de telles questions alors que la guerre emplit l’espace : l’affrontement Russie-Ukraine, les passes d’armes entre Israël et l’Iran… Le présent puise dans le passé. Plutôt que de se torturer l’esprit sur l’écoulement du temps, ne faudrait-il pas justement remonter le temps pour corriger ce qui provoque les catastrophes d’aujourd’hui ?

Ce serait un monde meilleur mais peut-être trop prévisible, songe Marcus en franchissant la porte d’entrée du campus.

Au loin, Louis l’interpelle :

—  Marcus, tu as le temps de prendre un café ?

Ce temps-là, je veux bien le prendre…



FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

22 avril 2024

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