Chroniques vingt-et-unièmes — Pour qui voter ? — 29 avril 2024


 Pour qui voter ?


—  Je me demande encore si je vais voter, soupire Émeline.

Xavier fait mine de la fixer durement :

—  C’est un devoir…

—  Je sais, mais ce que j’entends dans cette campagne n’a rien à voir avec l’Europe. Ça ressemble plutôt à un sondage grandeur nature sur les intentions de vote des Français.

—  Ça l’a toujours été, remarque Xavier. Toutes les élections le sont. Regarde les régionales, les départementales, les communales…

—  Peut-être… Mais j’aurais quand même un penchant pour Raphaël Glucksmann…

Xavier grimace.

—  Ah oui ? Si je résume la pensée de Glucksmann, c’est « faisons la guerre à la Russie, et pour financer cette guerre, taxons les riches ! »

—  Là, je ne suis pas d’accord, et il ne me semble pas qu’il ait vraiment dit ça…

—  C’est mon interprétation. Et en plus, il voudrait saisir les 200 milliards d’avoirs russes ! Mais ce serait un acte de guerre ! Dans le passé, on a fait la guerre pour moins que ça…

—  La Russie n’osera pas se mesurer à toute l’Europe. Elle a déjà du mal avec l’Ukraine…

—  Ça reste à voir. Je crois en fait qu’on a commis une erreur. L’Europe a toujours eu un discours très musclé vis-à-vis de la Russie, mais ce n’était qu’un discours. Et ce discours a eu en tout cas pour effet de pousser la Russie à transformer son économie en économie de guerre – elle représente aujourd’hui 30 %  de l’ensemble. 

Geste de dénégation d’Émeline.

—  Tu ne penses pas qu’elle l’aurait fait de toute façon ? Si mes souvenirs sont exacts, c’était déjà le cas du temps de l’URSS…

—  Pas sûr. Et pendant ce temps, en Europe, on palabre. Par exemple, les Russes produisent maintenant en une année deux fois plus d’obus que l’Europe et les États-Unis réunis ! Si on prend la situation de la France, elle manque de poudre et ne produit que 40 000 obus de 155 millimètres par an, alors que l’Ukraine en tire 5 000 par jour ! Et la Russie, six ou sept fois plus. On fabrique ainsi en un an un tout petit peu plus que ce que tire la Russie en une seule journée !

—  Moi, je préférerais qu’on s’occupe de nos problèmes et pas de ceux des autres. On devrait s’attaquer à la dette…

Xavier s’approche de la fenêtre du salon et laisse filer son regard derrière la baie. La transformation est totale : en l’espace de quinze jours, toute la nature s’est parée de vert. Et la pluie incessante y contribue bien.

—  Ah ! la dette…, s’exclame-t-il. Même si Moody’s et Fitch ont maintenu la note de la France, ça reste préoccupant. Je pense que le « quoi qu’il en coûte » n’a pas rapporté une voix à ceux qui l’ont décidé. Ils sont d’ailleurs critiqués et on voit le résultat avec le déficit qui n’arrête pas de se creuser. En fait, toutes ces dépenses étaient considérées comme normales, comme un dû… Mais le pire que j’ai entendu, c’est Olivier Marleix dire que pour le déficit, ce n’est pas aux « Français de payer l’addition ». Mais ce serait à qui alors ? Aux Allemands ? Aux Italiens ? Aux Espagnols ? Pas aux Russes en tout cas pour les raisons que l’on sait…

—  Je ne crois pas que Marleix ait voulu dire ça…

—  Il s’est peut-être mal exprimé – je l’espère pour lui –, mais les mots ont leur importance. Une partie des Français peuvent en effet comprendre que ce n’est pas à eux de payer. Et la frustration sera d’autant plus grande quand ils découvriront que c’est faux.

—  On devrait d’abord réinvestir…, insiste Émeline.

—  Tu as raison et j’ai vu d’ailleurs qu’on relance les investissements en France. C’est du moins le langage de la SNCF. Elle va prendre à sa charge la plus grosse partie de la réforme des retraites en payant les agents quinze mois à rester chez eux avant leur départ, mais elle parle d’investissements : moins de grèves à l’avenir, meilleur engagement des salariés, attractivité renforcée pour en embaucher de nouveaux alors qu’on a de la peine à recruter… C’est beau…

—  Arrête de te moquer, il faut bien en sortir de ces grèves ! Surtout avec les Jeux qui approchent…

—  Oui, mais j’ai l’impression qu’on a ouvert une boîte de Pandore. Qu’est-ce qu’on va dire maintenant aux employés de la RATP, aux postiers, aux enseignants… ?

—  On y arrivera. Mais ce qui me gêne, c’est la violence des jeunes. Regarde ce qui se passe à l’école… On ne l’évoque pas beaucoup dans la campagne des Européennes.

Xavier secoue la tête.

—  Tant qu’on dira – et les médias le font très bien – que la « violence s’invite à l’école », on n’aura pas pris la mesure des événements. Non, la violence ne s’invite pas, ce sont des gens qui la provoquent cette violence, et en l’occurrence, en ce moment, il s’agit d’ados.

—  Mais ce ne sont que des mots…, murmure Émeline.

—  Peut-être, mais, encore une fois, les mots ont leur importance. Les mots sont des représentations, et si la représentation est mauvaise, la vision qu’on a du phénomène représenté est fausse.

—  Holà ! Tu as besoin de vacances !

Oui, c’est peut-être ce qui me manque, songe Xavier. Les mots ont leur importance…



FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

29 avril 2024

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