Chroniques vingt-et-unièmes — Vivre avec son temps ? — 1er avril 2024


Vivre avec son temps ?

—  J’ai l’impression que le monde ne sera plus jamais comme avant…

—  Ça, je ne te le fais pas dire, répond Ludivine à son père. Avec la planète que vous nous laissez…

Xavier hausse les épaules.

—  Mais non, je ne parle pas de ça. Je parle des réseaux sociaux !

Ils sont tous les trois installés dans le salon, et là, c’est Émeline qui relève les yeux de son livre.

—  Qu’est-ce qu’ils ont les réseaux sociaux ?

Xavier soupire.

—  Toutes ces fake news, cette désinformation, ces manipulations… La situation empire de jour en jour.

Ludivine secoue la tête tout en continuant de scroller sur son smartphone. Émeline réplique :

—  Les mensonges, la propagande, ça ne date pas d’hier. Les réseaux sociaux, ce n’est qu’un nouveau moyen pour les diffuser…

—  Bien sûr, il y a toujours eu des gens qui racontaient des mensonges ou propageaient des rumeurs, mais leur audience restait limitée dans leur famille ou au café du commerce du coin. Internet a tout changé. Aujourd’hui, quand quelqu’un a quelque chose à dire, il le dit via son smartphone sur son canapé ou dans le métro, et il peut toucher aussitôt des dizaines de milliers de personnes.

Xavier pense à tous ces bistrots qu’on a cherché à fermer durant des décennies parce qu’ils étaient trop nombreux : 500 000 en 1900 et 36 000 en 2010… On voulait lutter contre l’alcoolisme, mais on s’est peut-être trompé de cible. En plus, ces bistrots jouaient un rôle social qu’on a complètement négligé. Et maintenant, on s’inquiète de la « désertification des campagnes », des commerces et des services publics qui disparaissent les uns après les autres. 

—  Chacun a le droit de s’exprimer, rétorque Émeline en reprenant la lecture de son livre.

—  Alors, ne nous plaignons pas ! Il y a quelque temps, j’ai entendu une mère affolée parce que sa fille de huit ans était harcelée sur les réseaux sociaux. Mais pourquoi faut-il que sa fille soit sur les réseaux sociaux à huit ans ? Et il y a ce collectif de parents qui envisagent d’attaquer Tik Tok en justice parce qu’ils considèrent que son « algorithme est pervers ». C’est vrai et c’est malheureux, certains d’entre eux ont perdu leur enfant par suicide, mais est-ce que ce ne serait pas plus simple que les parents interdisent à leurs ados de regarder Tik Tok ?

—  C’est bien une réflexion de boomer, intervient à nouveau Ludivine. On doit vivre avec son temps…

—  C’est ce qu’on dit toujours. Mais est-ce qu’il s’agit de son temps ou du temps que nous imposent les autres ?

—  Oh là là ! Ça devient de la philo…

—  Non, c’est la réalité. Depuis vingt ans, on a mis toutes sortes d’outils dans les mains des gens sans aucune préparation, sans aucune formation de base : les messageries, les réseaux sociaux, les smartphones… Beaucoup voient leur messagerie piratée, les fake news prospèrent, et on se balade maintenant dans la rue avec un coffre-fort dans la poche – je pense à tout ce qu’on trouve dorénavant dans un smartphone. Aucune précaution d’usage, aucune recommandation… C’est comme si on était au volant d’une Formule 1 sans avoir son permis de conduire. Et ça continue avec l’IA générative : on a désormais les fausses vidéos, les fausses voix, les deepfakes… On n’a aucun recul, on n’est pas au bout de nos surprises !

—  Moi, je ne vais pas te traiter de boomer, mais c’est un peu vieux jeu tout ce que tu racontes là… sourit Émeline.

—  Et même réac, ponctue Ludivine.

—  Réac, d’accord ! Les régimes autoritaires, eux, ont compris le problème, ils mettent des filtres : la Russie, l’Iran, la Corée du Nord, la Chine… D’ailleurs, les Chinois limitent l’utilisation de Tik Tok pour les jeunes. Ça veut tout dire…

Émeline pose définitivement son livre.

—  Mais c’est ce qu’on va faire aussi en France : je viens d’entendre ce matin que le gouvernement va interdire Tik Tok.

—  Ah bon ? (Xavier est interloqué).

—  Mais non ! Poisson d’avril !



FIN


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Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes

1er avril 2024

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